Utilisation de la messagerie instantanée personnelle : une protection démesurée du secret des correspondances ?

20/11/2019
Par un arrêt du 23 octobre 2019, la chambre sociale de la Cour de cassation a jugé qu’un employeur ne pouvait sanctionner une salariée pour avoir divulgué des documents appartenant à l’entreprise par le biais de sa messagerie personnelle (Cass. Soc. 23 octobre 2019, n°17-28.448). Rym Gouizi et Lucie Vincens reviennent sur l’utilisation et le contrôle des messageries électroniques au sein de l’entreprise.

Dans le cadre de l’exécution de leur travail, la grande majorité des salariés ont accès à des moyens de communication numériques par lesquels ils ont vocation à s’exprimer dans le cadre professionnel (e-mails, messageries internes notamment), et parfois dans un cadre plus personnel (messageries privées, réseaux sociaux).

Si le salarié dispose de sa liberté d’expression au sein de l’entreprise et hors de celle-ci, elle ne doit pas pour autant être exercée de façon abusive, notamment si les propos tenus portent atteinte à l’entreprise ou aux autres salariés (injures, diffamation, etc.). La question des limites de l’utilisation des messageries électroniques ou des réseaux sociaux par le salarié se pose donc naturellement.

A cet égard, la Cour de cassation protège rigoureusement les propos tenus par le salarié dès lors qu’ils s’inscrivent dans un cadre privé. En témoigne l’arrêt du 23 octobre 2019, par lequel la Haute Cour sanctionne l’employeur qui se prévalait d’échanges via une messagerie personnelle pour sanctionner le salarié, malgré la teneur de ceux-ci.

 

  • Des fichiers appartenant à l’entreprise divulgués via une messagerie instantanée personnelle

En l’espèce, l’employeur avait découvert via la messagerie instantanée « MSN Messenger » qu’une salariée avait installée sur son ordinateur professionnel, des échanges par lesquels elle avait divulgué à une salariée de l’entreprise un certain nombre d’informations et documents appartenant à la société (fiches de paie, attestation Pôle Emploi, évolution de la rémunération d’une salariée notamment).

Constatant de tels faits, l’employeur a procédé à son licenciement pour faute grave.

La salariée a contesté son licenciement en soutenant que l’employeur ne pouvait pas prendre connaissance de tels messages ni les produire en justice sans porter atteinte au secret des correspondances, qui découle du droit au respect de la vie privée du salarié.

La Cour de cassation a approuvé la cour d’appel qui avait estimé qu’étaient effectivement couverts par le secret des correspondances les messages qui « provenaient d’une boîte à lettre électronique personnelle, distincte de la messagerie professionnelle dont la salariée disposait pour les besoins de son activité ».

La Cour de cassation adopte ainsi une conception très stricte – pour ne pas dire catégorique – de la protection des correspondances privées du salarié, dans la lignée de sa jurisprudence en la matière. Pour autant, cette solution apparaît hautement critiquable au regard des faits qui motivaient le licenciement. En effet, le contenu des messages envoyés par la salariée présentait manifestement un caractère professionnel. L’analyse de la Cour prive dès lors l’entreprise de tout moyen d’action dans une telle situation.

 

  • Messagerie privée vs. messagerie professionnelle

La Cour de cassation distingue classiquement :

  • les propos tenus sur une messagerie professionnelle, qui sont présumés avoir un caractère professionnel. L’employeur peut donc les consulter, sauf si le salarié les identifie comme personnels ( Soc., 2 oct. 2001, n°99-42.942, Nikon) ;
  • les propos tenus sur une messagerie personnelle, qui sont par essence privés. L’employeur ne peut y avoir accès ni s’en prévaloir sauf si :
    • le salarié rend volontairement les propos publics. Cela exclut l’hypothèse où le salarié les laisse accessibles par mégarde sauf à démontrer le contraire par des attestations circonstanciées ou par d’autres moyens (v. CA Toulouse, 2 février 2018 n°16/04882),
    • l’atteinte au secret est justifiée par la gravité des faits (par exemple, le harcèlement sexuel d’un supérieur hiérarchique au moyen de son téléphone professionnel, v. Soc. 25 septembre 2019, n°17-31.171).

 

  • L’exigence d’une preuve loyale

Face à si peu d’exceptions à une telle protection, les moyens de l’employeur s’en trouvent fortement limités. Il ne peut en ce sens se prévaloir de propos qu’il aurait obtenus par stratagèmes (par exemple, via le téléphone professionnel du salarié destinataire des messages fautifs) et semble donc limité à la seule sanction de propos du salarié rendus sciemment publics.

Pour autant, il est essentiel de rappeler que l’employeur peut demander par requête ou en référé des mesures d’instruction avant tout procès, dès lors qu’il démontre que ces mesures procèdent d’un motif légitime et qu’elles sont nécessaires à la protection de ses droits (article 145 du code de procédure civile).

Ainsi, l’employeur qui aurait des raisons légitimes et sérieuses de craindre un comportement fautif du salarié pourrait par exemple demander la désignation d’un huissier afin qu’il prenne connaissance du contenu de courriers personnels d’un salarié en sa présence (Cass. Soc. 23 mai 2007, n°05-17.818).

Si le champ des hypothèses apparaît comme restreint, une telle option peut être opportune dans le cadre de contentieux relatifs à la concurrence déloyale (par exemple, v. arrêt précité) mais plus généralement tout dossier disciplinaire d’une particulière gravité. En effet, l’obtention d’une telle preuve par l’autorisation du juge rend celle-ci non seulement loyale mais, surtout, presque incontestable.

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