L’exercice difficile et légitime du pouvoir disciplinaire par l’employeur : Frontières avec le harcèlement moral

25/09/2019
Hugo Dickhardt et Laurent Jammet, avocats du Cabinet, reviennent sur une décision de Cour d'appel du 21 juin 2019 et conseillent les employeurs dans l’exercice de leur pouvoir de direction.

De plus en plus de salariés vont sur le terrain du harcèlement moral en dénonçant l’exercice – qu’ils considèrent « abusif » - du pouvoir disciplinaire de leur employeur. Face à la multiplication des contentieux en la matière, certains employeurs se demandent s’ils peuvent encore sanctionner tous les agissements fautifs sans risque.

La Cour d’appel de Toulouse, dans un arrêt détaillé du 21 juin 2019, répond par l’affirmative, rappelant toutefois que l'exercice normal du pouvoir de direction et de discipline de l'employeur doit être justifié par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement (CA Toulouse, 21 juin 2019, n°15-06.084).

Dans cette affaire, le salarié reprochait à son employeur d’avoir exercé sur lui d’innombrables pressions pour qu’il effectue des tâches pourtant contre-indiquées par des certificats médicaux, de s’être acharné sur lui en lui adressant une multitude de courriels directifs et vexatoires, en affichant des notes le discréditant et en jetant l’opprobre sur lui lors de l'assemblée générale annuelle des copropriétaires, ce qui caractérisait selon lui un véritable harcèlement moral dont il est résulté un état dépressif profond.

La Cour d’appel de Toulouse estime que si des tensions et conflits plus ou moins larvés ont opposé M. D au Syndicat des copropriétaires et plus précisément à son syndic, les agissements dont fait état le salarié n’ont, pris dans leur ensemble, jamais excédé l’exercice normal du pouvoir de direction et de discipline de l’employeur et étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

L’employeur dispose donc en sa qualité du pouvoir de direction, du pouvoir règlementaire et du pouvoir disciplinaire, dont il peut disposer librement dans le respect des règles légales et conventionnelles et dans la limite de l’abus de droit.

Le lien de subordination implique que l’employeur, dans le cadre de son pouvoir de direction, donne au salarié des directives que celui-ci doit appliquer, faute en cas de refus ou de mauvaise exécution de se voir sanctionner disciplinairement.

Dans le cadre de l’utilisation de son pouvoir disciplinaire, l’employeur doit s’assurer :

  • que les faits reprochés sont objectivement constitutifs d’une faute,
  • qu’ils sont imputables personnellement au salarié,
  • que ces faits sont démontrables,
  • que la sanction envisagée est proportionnelle à la gravité de la faute et au contexte de celle-ci (dossier disciplinaire, situation personnelle du salarié, ancienneté, circonstances des faits,…).

Sur la base de la définition légale du harcèlement moral  (« Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel », article 1152-2 du Code du travail), certains salariés ont considéré que l’exercice répété par l’employeur de son pouvoir disciplinaire à leur encontre devait s’analyser en un harcèlement moral, faisant référence à un acharnement à leur égard ou à des pressions répétées et injustifiées.

Le harcèlement moral peut en effet être constitué d’un ensemble de faits ou d’actions répétées qui s'inscrivent dans une stratégie de déstabilisation du salarié.

La Cour de cassation a cependant précisé que l'exercice par l'employeur de son pouvoir disciplinaire, même de manière répétée ou systématique, n'est pas constitutif de harcèlement moral lorsque la sanction prononcée est justifiée et proportionnée (Cass. Soc., 6 janv. 2011, n°09-69.245).

Les plus hauts juges ont ensuite rappelé les que le seul exercice du pouvoir de direction de l'employeur ne peut suffire à justifier des faits de harcèlement (Cass. Soc., 17 janvier 2013, 11-24.604).

Aussi, les sanctions graduées ne sont que la traduction de l’exercice du pouvoir disciplinaire par l’employeur à l’égard d’un salarié, dont les retards se sont multipliés, malgré les avertissements, sans toutefois qu’il ne soit caractérisé un usage abusif (CA Paris, 10 janv. 2019, n°15/08864).

Toutefois, l’usage abusif des pouvoirs de l’employeur peut caractériser un harcèlement moral, comme par exemple :

  • le fait d’infliger à un salarié de nombreuses brimades, de le priver des moyens matériels nécessaires à l’accomplissement de ses missions (bureau, téléphone et photocopieur), de l’exclure des réunions techniques, de réduire ses pouvoirs de sanction sur les personnes placées sous son autorité et de le faire figurer sur l’organigramme à un poste très inférieur à celui qu’il occupait antérieurement ( Soc. 23 mars 2011, n° 09-68.147) ;
  • le fait de s’adresser avec sarcasme à un salarié, même s’il n’était pas le seul à en être victime, en tenant à son égard des propos tels que « simplet » ou « langue de vipère », qui avaient porté atteinte à sa dignité, de sorte que ces agissements ne pouvaient pas être justifiés par les tensions résultant de la nécessité de respecter des délais ( Soc., 25 octobre 2011, n° 10-26.837).

Enfin, il est important de rappeler les règles légales et jurisprudentielles en matière de preuve du harcèlement moral (article L. 1154-1 du Code du travail, Cass. Soc., 25 janvier 2011, n°09-42.766 ; Cass. Soc. 8 juin 2016, n°14-13418).

La méthodologie suivante peut être suivie :

  1. En premier lieu, il appartient au salarié d’établir la matérialité des faits précis et concordants qu’il invoque comme constitutif de harcèlement moral ;
  2. Dès lors que ces faits sont établis, le juge doit ensuite les apprécier dans leur ensemble et déterminer s’ils sont de nature à faire présumer un harcèlement moral ;
  3. Si le juge a considéré que dans leur ensemble, les faits établis par le salarié permettaient de présumer l’existence d’un harcèlement moral, il revient ensuite à l’employeur d’établir que ces faits ne caractérisent pas une situation de harcèlement

En d’autres termes, le harcèlement moral ne se présume pas, il doit être prouvé.

 

 

 

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