Le tribunal des conflits tranche en faveur de la compétence administrative en matière d’évaluation des risques psychosociaux dans le cadre d’un PSE

18/06/2020
Lucie Vincens et Clémentine Dailloux reviennent sur les enjeux de la décision très attendue du tribunal des conflits rendue le 8 juin 2020.

Le tribunal des conflits, saisi seulement d’une trentaine de litiges par an, s’est prononcé, dans une décision, du 8 juin 2020, sur le domaine de compétence des juges judicaires et administratifs s’agissant du respect par l’employeur de son obligation de santé sécurité dans le cadre d’un PSE.

Rappel des faits :

En l’espèce, la société Grid Solutions, qui appartient au groupe Général Electric a conclu un PSE par un accord collectif signé le 19 novembre 2019, validé le 31 décembre 2019.

Avant sa signature, le 13 novembre 2019, le syndicat CGT Asltom Grid Villeurbanne a saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Nanterre aux fins de demander la suspension du projet de réorganisation en raison du trouble manifestement illicite résultant, selon lui, de l’absence de mesures d’identification et de prévention des risques psychosociaux et de la souffrance au travail des salariés.

Le Tribunal des conflits a ensuite été saisi par la biais d’un déclinatoire de compétence, présenté le 19 novembre 2019 par le préfet des Hauts-de-Seine, tendant à voir déclarer la juridiction de l’ordre judiciaire incompétente, pour trancher un litige portant sur l’évaluation et la prévention des risques dans le cadre de la procédure d’adoption d’un PSE.

Le Tribunal des conflits le 8 juin 2020 tranche donc en faveur du tribunal administratif au motif que :

« Le juge judiciaire est pour sa part compétent pour assurer le respect par l’employeur de son obligation de sécurité lorsque la situation à l’origine du litige, soit est sans rapport avec le projet de licenciement collectif et l’opération de réorganisation et de réduction des effectifs en cours, soit est liée à la mise en œuvre de l’accord ou du document ou de l'opération de réorganisation.

En l’espèce, le litige porté devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Nanterre avait pour objet l’insuffisance des mesures d’évaluation et de prévention des risques dans le cadre d’un projet de réorganisation qui donnait lieu à élaboration d’un plan de sauvegarde de l’emploi. Il résulte de ce qui précède qu’un tel litige relève de la compétence administrative. »

Eléments de contexte:

Depuis 2013, et l’entrée en vigueur de la loi relative à la sécurisation de l’emploi, la répartition des compétences entre juge administratif et juge judicaire est la suivante:

  • L’ordre administratif est le juge exclusif du PSE: sa procédure, son contenu, les décisions administratives afférentes (article L1235-7-1 du Code du travail),
  • L’ordre judiciaire a une compétence résiduelle pour tous les litiges qui surviennent en aval ou en marge du PSE (le motif économique, le respect de l’obligation de reclassement, la garantie d’emploi, l’obligation de recherche d’un repreneur, la mise en œuvre des critères d’ordre…),

Les deux ordres juridictionnels doivent veiller, dans le cadre des litiges dont ils sont saisis à respecter cette répartition des compétences.

Le juge judiciaire s’est, ainsi, déclaré incompétent, pour se prononcer sur le respect des obligations relatives à la fermeture d’un établissement et à la recherche d’un repreneur lorsque cette mesure est liée à une réorganisation donnant lieu à l’établissement d’un PSE, dans la mesure où cette procédure relève du contrôle de la Direccte (Cass. soc. 16 janvier 2019, n° 17-20.969).

Dans le même sens, a été cassée la décision d’une Cour d’appel qui, saisie d’une contestation de la cause économique du licenciement, avait retenu un manquement de l’employeur à son obligation de reclassement (Cass. soc. 21 novembre 2018, n°17-16766 en se fondant sur l’insuffisance des mesures de reclassement contenues dans un PSE homologué).

On observe, en ces occasions, que le Cour de cassation a raisonné sur la base d’une interprétation stricte de la lettre de la loi, et opère une distinction entre ce qui relève de la procédure et du contenu du PSE par opposition à ce qui relève de sa mise en œuvre, pour se déclarer compétente.

Sur le sujet des incidences du projet de réorganisation sur les conditions de travail et notamment les risques psychosociaux, l’ordre judiciaire, jusqu’au plus haut niveau, s’est estimé compétent.

Depuis 2013, plusieurs juridictions de l’ordre judiciaire ont rendu des décisions relatives aux mesures prises pour accompagner les salariés dans le changement et prévenir les risques psychosociaux, dans le cadre d'un PSE, au stade de la mise en œuvre du projet (CA Grenoble 20 avril 2018, n°16/01715, CA Versailles 1er décembre 2015, n°15/011203).

La Cour de cassation a confirmé dernièrement que les litiges relatifs aux risques psychosociaux consécutifs à la mise en œuvre d’un projet de restructuration dans le cadre d’un PSE relevaient de la compétence du juge judiciaire. La mise en œuvre du projet a donc été interdite (Cass. soc., 14 novembre 2019, nº 18-13.887).

Dans le même temps, plusieurs juridictions de l’ordre administratif se considéraient compétentes pour trancher des litiges relatifs à un PSE fondés, notamment sur des problématiques liées aux conditions de travail et à l’identification insuffisante de risques psychosociaux (TA Orléans, 15 juillet 2014, n°1401688), tandis que la Cour administrative d’appel de Nancy jugeait:

« alors même que la procédure d’élaboration du plan de sauvegarde de l’emploi prévoit la consultation du comité d’hygiène, de sécurité, et des conditions de travail, il n’appartient pas à l’autorité administrative de contrôler les conséquences du plan de sauvegarde de l’emploi sur la santé et la sécurité au travail des salariés » (CAA Nancy 16 octobre 2014, n°14NC01417).

Une délimitation claire des compétences juridictionnelles sur ce sujet était donc nécessaire.

Devant le Tribunal des conflits, les arguments en présence étaient les suivants:

  • en faveur de la compétence du juge judiciaire :
  • Le juge judiciaire est le juge de l’obligation de sécurité de l’employeur à l’égard de ses salariés,
  • Il n’est pas dans les pouvoirs de l’administration de se prononcer sur les risques que le projet de l’employeur peut faire courir au personnel, ni dans les pouvoirs du juge administratif de suspendre les effets d’une décision d’homologation ou de validation pour ce motif,
  • L’article L. 1235-7-1 ne précise pas si la juridiction judiciaire est privée de la possibilité de connaître d’un manquement de l’employeur à son obligation générale de sécurité, commis à l’occasion de l’établissement et de la mise en œuvre du PSE,
  • à l’avantage du juge administratif:
  • A travers la contestation de l’évaluation des risques psychosociaux, il s’agit d’apprécier la légalité du PSE, d’autant qu’au jour de la saisine, le PSE n’avait pas encore été validé par l’autorité administrative. Il s’agissait donc de contester son contenu.
  • Ce point de contestation relève expressément du juge administratif,
  • Il est conforme à l’esprit de la loi de confier tout contentieux en lien avec le PSE au juge administratif.

La décision du 8 juin 2020 est donc bienvenue car le juge des conflits clarifie finalement les compétences respectives des deux ordres et confie au juge judiciaire la charge de vérifier a posteriori que les engagements pris par l’employeur ont bien été respectés ou encore que le projet de réorganisation n’a pas porté atteinte à l’obligation de sécurité.

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