Le formalisme du temps partiel étendu aux contrats courts

24/03/2021
Sophie Rey et Claudia Leroy-Sanguinetti, avocates associée et collaboratrice du Cabinet, reviennent sur ces deux arrêts.

Par deux arrêts du 9 décembre 2020, la Cour de cassation a pour la première fois posé le principe selon lequel des contrats d’une durée inférieure à la semaine, parce que leur durée était nécessairement inférieure à la durée légale du travail, devaient respecter le formalisme imposé aux contrats de travail à temps partiel (Soc, 9 décembre 2020, n°19-16.138 et 19-20.319).

Dans les deux espèces, les salariés avaient saisi la juridiction prud’homale pour demander la requalification de leurs contrats à durée déterminée d’usage conclus pour une durée inférieure à la semaine, et réclamer des rappels de salaire correspondants aux périodes interstitielles non travaillées.

Sur le fondement d’une part des articles L3121-1, L3121-10 et L3123-14 du code du travail (dans leur ancienne rédaction) définissant le temps partiel et précisant les formalités du contrat de travail à temps partiel (soit l’inscription au contrat de la durée du travail et la répartition de cette durée), et d’autre part de la directive européenne 97/81/CE du 15 décembre 1997, la Cour de cassation retient que :

  • Le salarié dont la durée du travail est inférieure à 35 heures par semaine civile ou, si elle est inférieure, à la durée du travail applicable dans l’entreprise ou l’établissement, est un salarié à temps partiel,
  • Est travailleur à temps partiel un salarié, dont la durée normale de travail, calculée sur une base hebdomadaire ou en moyenne sur une période d’emploi pouvant aller jusqu’à un an, est inférieure à celle d’un travail à temps plein comparable,
  • La qualification de travail à temps partiel et le formalisme afférent ne sont pas liés à la durée du contrat de travail, mais s’apprécient au regard de la durée de travail du salarié concerné.

En jugeant ainsi, la Cour de cassation, juge du droit, fait une application stricte de la définition du temps partiel qui est celui inférieur à la durée légale du travail, sans considération pratique des situations qui imposent le recours aux contrats à durée déterminée d’usage.

Ces décisions laissent songeur tant elles apparaissent incompatibles avec les nécessités pratiques imposées par de nombreux secteurs d’activité.

En effet, le principe dégagé par la Cour de cassation a vocation à s’appliquer dans les secteurs où il est d’usage de recourir aux contrats courts.

Ces secteurs, au premier rang desquels l’hôtellerie restauration, sont ceux qui sont contraints par des besoins de flexibilité, liés notamment aux comportements de consommation.

S’il entre dans les pouvoirs du juge d’interpréter la loi, n’est-il pas également de son devoir de le faire ? et notamment au regard d’une nécessaire compatibilité du droit avec la réalité économique du monde du travail ?

Les arrêts de la Cour de cassation nous confrontent donc à la contradiction suivante :

  • D’une part le législateur a donné la possibilité à certains secteurs d’activité limitativement énumérés par décret, de recourir aux contrats à durée déterminée d’usage pour pourvoir à des emplois pour lesquels il était d’usage de ne pas recourir au contrat à durée indéterminée, ce qui traduisait sa volonté d’adapter le droit à la réalité économique,
  • D’autre part, ces secteurs sont dorénavant confrontés à la lourdeur du formalisme de l’article L3123-6 du code du travail (anciennement L3123-14), et donc à la nécessité d’inscrire au contrat de travail, la durée hebdomadaire ou mensuelle prévue et la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois … alors même que le contrat conclu le serait pour moins d’une semaine.

L’objectif de simplification du droit apparaît ici encore comme une douce utopie.

Un des moyens au pourvoi dans la première espèce, et le motif retenu par l’arrêt de la Cour d’appel dans la seconde espèce, s’appuyait justement sur les dispositions de l’article L3123-6 du code du travail pour soutenir que, ces dernières ne se référant qu’à la durée hebdomadaire ou mensuelle, elles ne s’appliquaient pas aux contrats conclus pour une durée inférieure à la semaine (CDD d’usage principalement).

La motivation de la Cour de cassation pour rejeter cet argument est lacunaire et ne se fonde que sur la définition stricte du temps partiel.

Les conséquences de la solution adoptée par la Cour de cassation ne sont pas négligeables puisque le salarié bénéficiera d’une présomption de travail à temps plein.

Certes, cette présomption peut être renversée par l’employeur s’il prouve :

  • D’une part, la durée du travail convenue ;
  • D’autre part, que le salarié n’était pas placé dans l’impossibilité de prévoir son rythme de travail de sorte qu’il aurait été placé à la disposition permanente de l’employeur.

Si le salarié est recruté dans le cadre d’un contrat d’un ou deux jours, la requalification en temps complet lui donnera droit à des rappels de salaire sur la base de 35 heures travaillées.

En revanche, si le salarié a conclu des contrats courts successifs, l’enjeu tient également à la rémunération des périodes interstitielles que le salarié pourra obtenir s’il prouve qu’il s’est tenu à la disposition de l’employeur.

Lorsque l’on sait qu’entre 2000 et 2017 le recours aux contrats de moins d’un mois a plus que doublé dans le secteur de l’hôtellerie-restauration et que les contrats de moins d’une semaine représentent environ la moitié des contrats à durée déterminée d’usage conclus[1], la Cour de cassation a ouvert la porte à la possibilité d’un important contentieux.

[1] Données officielles du gouvernement pour l’année 2014

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