L'incompétence du Conseil de Prud'hommes pour connaître d'une fraude à l'article L. 1224-1 du Code du travail en cas d'accord majoritaire validé par la Direccte

24/04/2018
Dans deux décisions rendues le 18 janvier 2018, le Conseil de Prud’hommes de Paris se déclare incompétent pour connaitre d’une demande de fraude à l’article L.1224-1 du Code du travail lorsqu’au cours d’une procédure de licenciement pour motif économique l’application de cet article a fait l’objet d’un examen par l’Administration du travail. Cette contestation ne peut faire l’objet d’un contentieux distinct de celui relatif à la validation de l’accord collectif majoritaire.

En l’espèce, en raison de difficultés économiques rencontrées, une société a été contrainte de mettre en œuvre un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE).

Ce PSE fait l’objet d’un accord majoritaire signé avec les organisations syndicales représentatives puis est validé par l’Administration du travail.

Dans ce cadre, un plan de transformation est mis en œuvre et prévoit :

  • la suppression de 180 postes de travail ;
  • l’arrêt de l’activité de la société ;
  • la mise en œuvre d’actions spécifiques par une autre entreprise.

Deux salariés licenciés pour motif économique contestent leur licenciement et font notamment valoir que la rupture de leur contrat de travail procéderait d’une fraude à l’application de l’article L. 1224-1 du Code du travail dans la mesure où l’ensemble de l’activité de la société aurait été, en fait, reprise par une autre.

En réponse, la société oppose notamment l’incompétence du Conseil de prud’hommes au profit des juridictions administratives. Elle fait alors valoir que :

  • l’application, ou non, de l’article L. 1224-1 du Code du travail est une question qui porte sur la régularité de la procédure de licenciement économique ;
  • l’article L. 1235-7 du Code du travail donne compétence exclusive aux juridictions administratives pour apprécier la régularité de la procédure de licenciement collectif.

Par deux décisions rendues le même jour, le Conseil de Prud’hommes de Paris ne fait pas droit aux demandes des salariés et valide le raisonnement soulevé par la société.

Le Conseil constate alors que :

  • Aux termes de l’article L. 1235-7 du Code du travail, le contentieux de la régularité de la procédure de licenciement collectif relève de la compétence exclusive des juridictions administratives.
  • En arguant d’une fraude à l’application de l’article L. 1224-1 du Code du travail, qui est d’ordre public, les demandeurs mettent en cause la procédure de licenciement collectif.
  • La question de l’application ou non de l’article L. 1224-1 du Code du travail avait au demeurant fait l’objet d’une demande d’injonction de la part du Comité d’Entreprise de la société à l’Administration du travail qui l’a prise en compte puisque celle-ci est visée dans la décision de validation de l’accord majoritaire.

Le Conseil de Prud’hommes de Paris en déduit que l’application de l’article L. 1224-1 du Code du travail a fait l’objet d’un examen par l’Administration du travail puisqu’il s’agit d’une question touchant à la régularité de la procédure de licenciement.

Ainsi, il en conclut que l’application ou non de l’article L. 1224-1 du Code du travail ne peut faire l’objet d’un contentieux distinct de celui relatif à la validation de l’accord collectif majoritaire. 

Il se déclare donc incompétent aux visas des articles L. 1224-1 et L. 1235-7 du Code du travail et 96 du Code de procédure civile.

Ces décisions font échos à une décision rendue par le Tribunal de Grande Instance de Charleville Mézières le 18 juillet 2014 (n°14/01343).

Dans cette affaire, un syndicat avait, après la signature d’un accord collectif majoritaire sur le PSE soumis pour validation à la DIRECCTE, saisi le Tribunal de Grande Instance en vue de l’annulation de la procédure de licenciement économique collectif.

Le Tribunal de Grande Instance s’est déclaré incompétent dans les termes suivants :

« Il ressort des écritures de la demanderesse développées oralement à l’audience que celle-ci sollicite l’annulation de la procédure de licenciement collectif que la société ELECTROLUX HOME PRODUCTS FRANCE projette de mettre en œuvre à partir du mois de septembre 2014. Elle fait valoir que le montage juridique mis en œuvre par cette société et consistant dans un premier temps à apporter ses actifs à la société SAI dont elle est le seul actionnaire puis à céder celle-ci au groupe SELNI tout en prévoyant des licenciements serait frauduleux, n’ayant d’autre objectif que de contourner les dispositions d’ordre public de l’article L. 1224-1 du Code du travail sur le maintien des contrats de travail des salariés en cas de transfert d’activité d’une entreprise.

Ce faisant, c’est bien la régularité de la procédure de licenciement collectif qu’elle remet en cause, invoquant sa contrariété avec cet article L. 1224-1 du Code du travail sollicitant en conséquence son annulation.

En conséquence, et conformément aux dispositions susvisées, ce litige ne peut faire l’objet d’un contentieux distinct de celui relatif à la décision de validation de l’accord collectif majoritaire.

Dès lors, le Tribunal de grande instance de Charleville-Mézières est incompétent pour en connaître. »

Ainsi, lorsque dans le cadre d’une procédure de licenciements pour motif économique, une fraude à l’application de l’article L. 1224-1 du Code du travail est soulevée afin de faire échec aux licenciements prononcés, les tribunaux de l’ordre judiciaire considèrent que cette contestation ne relève pas de leur compétence et ne peut être soulevée qu’à l’occasion de la contestation de la décision d’homologation ou de validation du PSE.

A ce jour, il semble bien que la juridiction administrative justifie d’une compétence exclusive pour se prononcer sur l’éventualité fraude à l’article L. 1224-1 du Code du travail qui serait intervenue au cours d’une procédure de licenciement économique collectif validée par la DIRECCTE.

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