Indemnités de rupture du contrat de travail : Quel régime social et fiscal à partir du 1er septembre 2018 ?

25/09/2018
Nous assistons régulièrement à des évolutions du régime social et du régime fiscal portant sur les indemnités de rupture du contrat de travail et ce sujet est fréquemment au cœur de la négociation d’une transaction entre un employeur et un salarié.

1/ Avant l’instauration de l’article 80 duodecies

Avant l’instauration de l’article 80 duodecies du CGI par la loi de finances pour 2000, le régime de la taxation à l’IRPP des indemnités de rupture d’un contrat de travail n’était pas défini par la loi. Il reposait sur une appréciation, par l’administration fiscale, et par le juge en cas de contentieux, des sommes versées : celles-ci étaient imposables dès lors qu’elles ne réparaient pas un préjudice distinct de celui résultant de la perte de rémunération. C’est ainsi qu’étaient soumises à l’IRPP les sommes qui correspondaient à la compensation de la perte de salaire, tandis que les indemnités venant réparer un autre préjudice (préjudice moral, professionnel, difficulté à retrouver un emploi, etc.) étaient exonérées. Le préjudice non pécuniaire était apprécié en fonction de chaque situation (âge du salarié, ancienneté dans les fonctions occupées, niveau de formation, conditions de la rupture du contrat de travail, trouble dans les conditions d’existence, etc.).

L’article 80 duodecies avait notamment pour objet d’améliorer la sécurité juridique des salariés en cas de licenciement, en tendant à exonérer certaines indemnités précisément mentionnées et à en assujettir d’autres. 

 

2/ Régime actuel

Les modifications successives de ce texte conduisent à disposer actuellement :

  • D’un principe, qui est celui du caractère imposable de toute indemnité versée à l’occasion de la rupture du contrat de travail ;
  • D’exceptions au caractère imposable, dans la mesure suivante :
    • Certaines indemnités sont totalement exonérées: c’est le cas, par exemple, de l’indemnité forfaitaire proposée en conciliation devant le conseil de prud’hommes (L1235-1), de l’indemnité accordée au titre d’une irrégularité de procédure de licenciement (L1235-2), d’une indemnité accordée au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse (L1235-3) ou nul (L1235-3-1) ou encore d’indemnités versées dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) ou d’un plan de départ volontaire (PDV) (L1233-61 à L1233-64) ainsi que des indemnités de départ versées dans le cadre d’un accord collectif instaurant une rupture conventionnelle collective (RCC) (L1237-19-1) ;
    • D’autres indemnités sont partiellement exonérées, telles que la fraction des indemnités de rupture versées en dehors d’un PSE/PDV qui n’excèdent pas le plafond fiscal (soit deux fois la rémunération annuelle brute de l’année civile précédant la rupture ou 50% de l’indemnité versée si ce seuil est supérieur, et ce dans la limite de 6 PASS c’est-à-dire 238.392 € pour 2018 ; soit le montant de l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement).

L’article 80 duodecies ne vise pas explicitement les indemnités transactionnelles.

 

3/ Position du Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de rappeler, à propos d’une indemnité transactionnelle versée à la suite d’une prise d’acte de la rupture de son contrat de travail par un salarié, que l’article 80 duodecies définit limitativement les exceptions au principe d’imposition qu’il fixe. Ces dispositions définissent les indemnités de licenciement ou de départ volontaire qui, en raison de leur nature, font l’objet d’une exonération totale ou partielle d’impôt sur le revenu. Il a également jugé que les dispositions de cet article « ne sauraient, sans instituer une différence de traitement sans rapport avec l’objet de la loi, conduire à ce que le bénéfice de ces exonérations varie selon que l’indemnité a été allouée en vertu d’un jugement, d’une sentence arbitrale ou d’une transaction ; […]en cas de transaction, il appartient à l’administration et, lorsqu’il est saisi, au juge de l’impôt, de rechercher la qualification à donner aux sommes objets de la transaction (Décision n°2013-340 QPC du 20 septembre 2013, Considérant 6.) ».

Le Conseil Constitutionnel a formulé ainsi une réserve d’interprétation sur la constitutionnalité de l’article 80 duodecies en énonçant que le bénéfice de l’exonération prévue à cet article ne saurait varier selon que l’indemnité a été allouée en vertu d’un jugement, d’une sentence arbitrale ou d’une transaction.

C’est sur ce fondement qu’il a été jugé qu’un salarié ayant signé une transaction à la suite de la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail ne peut se prévaloir de l’exonération d’impôt prévue au titre des licenciements sans cause réelle et sérieuse, que s’il est en mesure de justifier auprès de l’administration fiscale ou du juge de l’impôt qu’il disposait au moment de sa prise d’acte de griefs suffisamment sérieux à l’égard de son employeur pour justifier que la rupture soit prononcée aux torts de celui-ci, étant alors assimilable à un licenciement sans cause réelle et sérieuse (Conseil d’état 1er avril 2015, n° 365253).

Il appartient donc à l’administration ou au juge de l’impôt lorsqu’il est saisi, de rechercher la qualification des sommes payées dans le cadre de la transaction. S’il peut être justifié que certaines sommes sont versées en raison d’un non-respect de la procédure de licenciement ou de l’absence de cause réelle et sérieuse, l’indemnité correspondante pourrait ainsi échapper à l’impôt même si elle est issue d’une transaction. L’aléa reste néanmoins très fort si le contribuable n’a pas déclaré l’indemnité transactionnelle sans pouvoir pour autant justifier du bien-fondé d’une exonération auprès de l’administration fiscale, ce qui suppose un dossier fourni.

 

4/ Position de l’Administration

L’Administration fiscale a elle-même exprimé une tolérance sur le traitement des indemnités transactionnelles faisant suite à un licenciement. Elle admet qu’une telle indemnité transactionnelle entre dans la constitution de l’indemnité de licenciement et en suive donc le régime (BOI 5 F-8-00 n°118 du 26 juin 2000, n°16). Ce faisant, il y a lieu de faire masse de l’indemnité de licenciement (légale ou conventionnelle) et de l’indemnité transactionnelle en soumettant la somme de ces deux indemnités au régime d’exonération d’impôt applicable à l’indemnité de rupture (c’est-à-dire l’exonération dans la limite du plafond fiscal cité plus haut).

Aussi, en matière fiscale, la caractérisation des préjudices qui échapperaient à l’impôt sur le revenu, sous réserve du contrôle de l’administration fiscale ou du juge de l’impôt, doit être étayée et justifiable par des pièces. En outre, aucune indemnité versée en réparation d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ne saurait dépasser le plafond du barème fixé à l’article L1235-3 du code du travail issu de l’ordonnance n°2017-1387 du 22 sept. 2017 sans quoi elle pourrait être requalifiée par l’administration fiscale ou le juge de l’impôt comme une indemnité imposable si elle n’est pas justifiée par un préjudice d’une autre nature (préjudice moral par exemple).

 

5/ Position récente de la Cour de cassation

En matière de régime social, la cour de cassation n’avait pas encore modifié sa jurisprudence à la suite de la décision du Conseil Constitutionnel ; les arrêts intervenus les 15 mars et 21 juin 2018 semblent s’inscrire dans cet objectif. Il en ressort que pour être exonérées de cotisations sociales, les indemnités versées lors de la rupture du contrat de travail doivent figurer dans la liste des indemnités exonérées, totalement ou partiellement, par l’article 80 duodecies. L’article L242-1, dans sa rédaction de l’époque, mentionne en effet à son alinéa 10 que « Est exclue de l'assiette des cotisations mentionnées au premier alinéa, dans la limite d'un montant fixé à deux fois la valeur annuelle du plafond mentionné à l'article L. 241-3, la part des indemnités versées à l'occasion de la rupture du contrat de travail […] qui n'est pas imposable en application de l'article 80 duodecies du même code. ».

Dans les affaires traitées par la cour de cassation, étaient en cause des indemnités non visées par l’article 80 duodecies, notamment des indemnités versées suite à des licenciements pour faute grave, à des départs en retraite ou en complément d’indemnité de licenciement ou de départ volontaire versée dans le cadre d’un PSE. La cour précise « attendu que les sommes accordées, à titre transactionnel, […] ne sont pas au nombre de celles limitativement énumérées par [l’article 80 duodecies], qu’elles sont soumises aux cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales en application [de l’article L242-1], à moins que l’employeur ne rapporte la preuve qu’elles concourent, pour tout ou partie de leur montant, à l’indemnisation d’un préjudice ».

Sur la base de ces décisions, il peut être envisagé de distinguer les préjudices distinctement indemnisés par voie transactionnelle entre :

  • d’une part, le préjudice découlant de la rupture du contrat de travail et,
  • d’autre part, celui découlant de circonstances de fait précises et justifiables, ayant entrainé par exemple un préjudice moral, un préjudice de carrière, une atteinte à la notoriété professionnelle, etc. ; ces derniers, si les parties sont en mesure de prouver ce préjudice, pourraient alors échapper aux cotisations sociales.

A noter que l’URSSAF et le juge s’il est saisi à la suite d’un redressement de cotisations, seront amenés à apprécier non seulement les éléments de preuve produits par les parties pour justifier la réalité du préjudice, mais également le caractère proportionné de l’indemnisation par rapport à l’étendue de ce préjudice.

S’agissant du préjudice découlant de la rupture du contrat de travail, l’on sait que l’article 80 duodecies exonère totalement d’impôt le montant de l’indemnité prévue par la convention collective de branche ou l’accord professionnel ou interprofessionnel ou à défaut par la loi. La tolérance administrative rappelée plus haut permet en outre de faire échapper à l’impôt la part d’indemnité transactionnelle qui, rapportée à l’indemnité légale ou conventionnelle, n’excède pas le plafond fiscal. 

Mais qu’en est-il des cotisations sociales sur le montant de l’indemnité transactionnelle afférente au préjudice découlant de la rupture du contrat de travail ?

Plus clairement, la question se pose de savoir si les décisions de 2018 doivent conduire à :

  • calculer les cotisations sociales sur l’ensemble de cette indemnité transactionnelle, puisque celle-ci n’entre pas dans la liste des indemnités exonérées d’impôt par l’article 80 duodecies ?
  • ou, comme il était fait jusqu’alors, appliquer une exonération des cotisations sociales dans la limite du plafond social de 2 PASS (en faisant masse de cette indemnité transactionnelle et de l’indemnité légale ou conventionnelle) ?

 

6/ Position du Cabinet Actance

Nous penchons pour la deuxième alternative, dans la mesure où l’indemnité transactionnelle est bien versée « à l’occasion de la rupture du contrat de travail », sous réserve que cette indemnité n’ait pas pour effet de franchir le plafond fiscal, conditions mentionnées à l’article L242-1 dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n°2018-474 du 12 juin 2018.

Cette position nous semble renforcée par la nouvelle rédaction de l’article L242-1 issue de cette ordonnance qui procède à un alignement d’assiette entre les cotisations sociales et la CSG. Le nouvel alinéa 1 pose le principe de l’assujettissement aux cotisations sociales en se référant au nouvel article L. 136-1-1 (CSS) crée par l’ordonnance. Or, cet article prévoit explicitement aux termes de son III., que sont exclus de l’assiette de la contribution « […] indépendamment de leur assujettissement à l’impôt sur le revenu, les indemnités versées à l’occasion de la rupture du contrat de travail, dans la limite du plus petit des montants suivants :

  • le montant prévu par la convention collective de branche, l’accord professionnel ou interprofessionnel ou la loi si ce dernier est le plus élevé, ou, en l’absence de montant légal ou conventionnel pour le motif concerné, le montant de l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement ;
  • le montant fixé en application du 7° du II de l’article L. 242-1 du présent code».

Le montant en question est celui de deux fois le PASS.

Les dispositions de l’ordonnance sont applicables aux cotisations et contributions dues pour les périodes courant à compter du 1er septembre 2018.

 

7/ Position appelant une confirmation du législateur

Il serait néanmoins préférable que le législateur à l’occasion d’une prochaine loi de financement de la sécurité sociale, affirme plus clairement le principe de l’application du plafond des deux PASS aux indemnités transactionnelles versées en réparation des conséquences de la rupture d’un contrat de travail.

 

 

 

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