Dans cette affaire, un employeur est alerté par les délégués du personnel d’une possible situation de harcèlement moral dans l’entreprise, imputable à une salariée cadre.
Afin de traiter cette alerte, l’employeur décide de solliciter, avec l’accord des représentants du personnel, un cabinet d’audit externe spécialisé en risques psychosociaux afin de réaliser une enquête et de recueillir des témoignages sur des agissements de harcèlement moral. Ce cabinet a également pour mission d’accompagner psychologiquement les salariés compte tenu de la dénonciation de faits d’apparence grave, notamment des injures à caractère racial et discriminatoire.
De nombreux témoignages recueillis dans le cadre de l’enquête confirment que la salariée aurait proféré des insultes, nourri des tensions et des conflits, mis en compétition des salariés et exercer des pressions psychologiques sur eux, générant des perturbations graves de l’organisation et de l’efficacité collective.
Au regard des conclusions de l’enquête et compte tenu de la gravité des faits reprochés à la salariée, présumée auteure des agissements de harcèlement, l’employeur prononce son licenciement pour faute grave, sans que la salariée n’ait été informée, ni entendue dans le cadre de cette enquête menée par le cabinet extérieur.
La salariée conteste son licenciement devant le Conseil de prud’hommes puis devant la Cour d’appel et fait valoir que l'enquête diligentée par l'employeur constituait un mode de preuve illicite, faute pour elle d’en avoir été préalablement informée ou, à tout le moins, d’avoir été entendue. Elle s’appuie sur le fondement de l'article L. 1222-4 du code du travail lequel dispose qu’« aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n'a pas été porté préalablement à sa connaissance ».
La Cour d’appel suit l’argumentation de la salariée, considérant que l’article L.1222-4 du code du travail et, plus généralement l’obligation de loyauté dans les relations de travail, s’opposent à la mise en œuvre d’un contrôle ou d’une enquête confiée à un tiers à l’entreprise et non préalablement portée à la connaissance de la salariée mise en cause. Elle précise que cette absence d’information préalable aurait pu être couverte par l’association de la salariée à l’enquête dont elle faisait l’objet, ce qui n’avait pas été le cas en l’espèce. Dès lors, elle écarte le compte-rendu de l’enquête, au motif qu’il s’agissait d’un moyen de preuve illicite, et juge le licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La Cour de cassation n’est pas de cet avis.
La Haute Juridiction prend le soin, au préalable, de rappeler les principes régissant l’administration de la preuve selon lesquels :
Néanmoins, elle retient qu’une enquête réalisée dans l’entreprise par un tiers à la suite de la dénonciation de faits de harcèlement moral n’est pas soumise aux dispositions de l’article L. 1222-4 du code du travail et ne constitue pas un « procédé clandestin de surveillance », ni une « preuve déloyale ».
Dans son arrêt du 17 mars 2021, la Cour de cassation reconnait que le rapport d’enquête, réalisée par un organisme tiers à l’entreprise, constitue un mode de preuve licite des agissements de harcèlement imputés à un salarié, peu important que ce salarié n’ait pas été préalablement informé de cette enquête, ni entendu dans ce cadre. Cette position marque une souplesse des juges dans l’administration de la preuve en actant de la recevabilité du rapport d’enquête « non contradictoire » - souplesse habituellement accordée au salarié contestant son licenciement - visant ici à faciliter la charge de la preuve par l’employeur en vue de protéger les intérêts des salariés victimes de faits de harcèlement moral.
Force est d’en déduire que l’enjeu du harcèlement moral est tel que la validité de l’enquête confiée à un tiers spécialisé ne saurait être contestée, même si celle-ci est menée en auditionnant toute personne en contact avec le salarié dont le comportement est mis en cause, sans prévenir ni entendre ce dernier.
Ainsi, l’atteinte portée au principe du contradictoire et, plus largement, aux droits de la défense seraient justifiées au nom de la lutte contre les faits de harcèlement moral - auxquels peuvent certainement s’ajouter les faits de harcèlement sexuel - et surtout de la protection des victimes de tels agissements.
La solution rendue mérite d'être saluée en ce qu'elle évite un risque de pression par le salarié mis en cause sur les présumées victimes du harcèlement moral avant leur audition, à un stade de la procédure où toute mesure conservatoire pourrait être jugée prématurée (notamment une mise à pied). D’autant que le salarié, dont les accusations de harcèlement seraient confirmées dans les conclusions d’enquête, conserve la possibilité de se défendre lors de la procédure disciplinaire, en particulier, lors de son entretien préalable à licenciement, voire devant le juge.
Pour autant, cette pratique ne doit pas, selon nous, être systématisée et il doit exister un réel risque de pression sur les victimes et/ou les témoins avant leur audition pour exclure le présumé auteur des faits de harcèlement moral de l’enquête interne. Une solution alternative consiste à l’informer, à le convoquer et à l’auditionner en toute fin d’enquête.
Si aucune règle légale n’exige formellement le respect du principe du contradictoire dans le cadre de l’enquête, la convocation et l’audition du salarié mis en cause renforce indéniablement le sérieux de l’enquête réalisée par l’employeur et offre au salarié un droit de réponse et de rectification.
Rappelons, au préalable, que l'employeur est tenu, conformément à son obligation de sécurité, de diligenter une enquête après la dénonciation de faits de harcèlement moral plausibles par un salarié, sous peine de manquer à son obligation de prévention. Le caractère obligatoire de cette enquête est, à notre sens, renforcé lorsque l’alerte émane des représentants du personnel et, en particulier, du CSE.
Cette enquête peut être directement diligentée par l'employeur en interne (interlocuteur RH, audit interne, etc.) ou confiée par lui à un prestataire externe (cabinet d’avocat, audit externe, etc.).
Pour renforcer la valeur probatoire des conclusions de l’enquête, il est préconisé de :
Ces préconisations doivent néanmoins être adaptées au regard des dossiers et des rapports avec les différents interlocuteurs.
Enfin et surtout, il est fortement recommandé voire indispensable d’achever cette enquête par la rédaction d’un rapport d’enquête complet qui sera la pièce centrale en cas de contentieux.
Une restitution de l’enquête peut être envisagée auprès du salarié mis en cause et du ou des salariés victimes. En revanche, pour des raisons évidentes de confidentialité, il est déconseillé de transmettre les conclusions de l’enquête aux salariés interrogés.
Face au plein essor de la lutte contre les discriminations, le harcèlement moral et/ou sexuel ou encore le sexisme, la qualité et le sérieux des enquêtes menées dans les entreprises sont essentiels.
Par délibération du 10 décembre 2019, le Conseil de l’Ordre des avocats de Paris a d’ailleurs réaffirmé le rôle primordial d’assistance et de conseil de l’avocat dans le cadre des enquêtes internes et a clarifié les conditions dans lesquelles l’avocat peut être chargé de l’enquête, c’est-à-dire missionné en tant qu’« enquêteur » pour le compte de son client.
Les règles déontologiques de la profession d’avocat permettent en effet d’offrir de véritables garanties aux entreprises, au sein desquelles les enquêtes sont pratiquées et à leurs salariés, en particulier le secret professionnel et l’indépendance.
Nous sommes à votre disposition pour vous accompagner dans ce type de démarche