Discrimination systémique : de quoi parle-t-on ?

12/02/2020
Pauline Dupont et Chloé Bouchez, avocates du Cabinet, reviennent sur la nouvelle notion de "discrimination systémique".

Le Conseil de Prud’hommes de Paris a retenu, dans plusieurs jugements rendus le 17 décembre 2019, l’existence d’une « discrimination raciale et systémique » à l’égard de 25 travailleurs maliens employés en situation irrégulière sur un chantier de démolition.

Il s’agit de la première décision consacrant la notion de « discrimination systémique » dans le cadre d’un contentieux prud’homal en France.

 

  1. Le contexte

A la suite d’une enquête de l’inspection du travail sur un chantier qui avait conduit à la constatation de diverses infractions commises par leur employeur (travail dissimulé, absence d’équipement de protection nécessaire à l’exercice de leur mission), les salariés, soutenus par la CGT, ont saisi le Conseil de prud’hommes en vue d’obtenir la prise d’acte de la rupture de leur contrat de travail aux torts exclusifs de la Société ainsi que la réparation des différents préjudices.

Les salariés ont invoqué, en outre, l’existence d’une discrimination fondée sur leur origine, leur nationalité et leur ethnie.

Sur ce point, le Conseil de prud’hommes a relevé, en s’appuyant notamment sur les observations prises par le Défenseur des droits, l’existence « d’une hiérarchie au sein du chantier » établie en fonction de la nationalité des travailleurs ; chaque groupe ethnique étant prédestiné à certaines tâches indépendamment de leur compétence réelle.

Partant de ce constat, le Conseil de prud’hommes a considéré l’existence d’une discrimination systémique en terme « de rémunération, d’affectation et d’évolution professionnelle à l’égard de ces 25 travailleurs maliens en situation irrégulière employés par l’entreprise (…), cantonnés aux métiers les plus pénibles de manœuvres et aux tâches les plus ingrates », octroyant ainsi aux demandeurs des dommages et intérêts pour discrimination à hauteur de 12 mois de salaire.

 

          2. Notre analyse

La doctrine définit la notion de discrimination systémique, comme étant une forme de discrimination conjuguant « les stéréotypes et les préjugés sociaux, la ségrégation professionnelle dans la répartition des emplois entre les catégories, la sous-évaluation de certains emplois, la recherche de la rentabilité économique à court terme ».

Dans la construction du dossier contentieux, l’approche est donc différente de celle d’une discrimination individuelle, notamment au regard de la charge de la preuve.

En l’espèce, les demandeurs se sont ainsi basés sur l’environnement de travail, sur l’organisation du chantier dans sa globalité pour mettre en exergue l’existence d’actes discriminatoires.

En matière de discrimination « classique », directe ou indirecte, le demandeur est tenu de présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, ce qui le plus souvent implique une comparaison avec la situation d’autres salariés.

L’employeur peut alors justifier la différence de traitement par des éléments ou des motifs objectifs pour écarter la qualification de discrimination.

Cet exercice se révèle beaucoup plus difficile dans le cadre d’une discrimination systémique, laquelle est fondée sur une preuve « par la généralité ».

En effet, si le Conseil de prud’hommes admet une discrimination dans sa globalité, au regard de l’organisation de l’entreprise, il semble impossible a contrario de démontrer une absence générale de discrimination.

Si pour l’heure cette nouvelle notion n’a été consacrée qu’en première instance, elle pourrait également donner lieu à de nombreux débats et de nombreux contentieux sur la base d’autres critères discriminatoires (fondés sur le sexe, sur l’orientation sexuelle ou encore sur l’âge…).

La reconnaissance de cette forme de discrimination pourrait ouvrir des perspectives à l’action de groupe autorisée en cas de discrimination, depuis la loi 2016-1547 du 18 novembre 2016.

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