Détermination du nombre et du périmètre des établissements distincts pour l’élection du CSE : l’éclairage de la Cour de cassation

09/05/2019
Eliane Chateauvieux et Thomas Lesvenan reviennent sur la décision de la Cour de Cassation rendue le 17 avril 2019 (n°18-22.948) à l’occasion de laquelle celle-ci poursuit son travail d’interprétation des nouveaux textes.

Dans cette affaire, un employeur a invité les organisations syndicales à négocier le protocole d’accord préélectoral (PAP) en vue de la mise en place d’un Comité Social et Economique (CSE) unique. Les syndicats ont refusé la négociation du PAP tant qu’une négociation préalable ne serait pas intervenue pour déterminer le nombre et le périmètre des établissements distincts, et donc le nombre de CSE à mettre en place au sein de l’entreprise.

En l’absence d’accord préélectoral, l’employeur a saisi le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation du travail et de l’emploi (Direccte) pour qu’il fixe la répartition des électeurs et des sièges entre les collèges électoraux dans le cadre d’un CSE unique. Le Direccte a rendu une première décision en ce sens et l’employeur a organisé les élections sous cette forme.

Mais entre cette première décision du Direccte et la tenue des élections, les organisations syndicales ont saisi à leur tour le Direccte pour contester la décision unilatérale de l’employeur de mettre en place un CSE unique, demandant que l’existence de six établissements distincts soit reconnue.

Le Direccte n’a pas statué sur le nombre car il a enjoint à l’employeur de négocier sur le nombre et le périmètre des établissements distincts. L’employeur conteste cette seconde décision du Direccte devant le Tribunal d’Instance, considérant que les élections n'ont fait l’objet d’aucun recours dans le délai de forclusion de 15 jours prévu par l’article R23314-24 du code du travail et qu’elles sont ainsi purgées de tout risque, ce qui rend l’ensemble du contentieux sans fondement car sans effet possible.

Le Tribunal enjoint néanmoins à l’employeur de négocier le périmètre de mise en place du ou des CSE. La société se pourvoit en cassation et la décision rendue permet à la Cour d’apporter d’importantes précisions.

  • L’employeur ne peut pas fixer unilatéralement le nombre et le périmètre des établissements distincts, au sein desquels des CSE seront mis en place, sans négociation collective préalable avec les organisations syndicales

Aux termes de l’article L2313-4 du Code du travail, « en l'absence d'accord […], l'employeur fixe le nombre et le périmètre des établissements distincts, compte tenu de l'autonomie de gestion du responsable de l'établissement, notamment en matière de gestion du personnel. »

Cette terminologie « en l’absence d’accord » créée une incertitude car deux interprétations sont possibles :

  • Soit elle corrobore le fait que l’employeur a le choix entre négocier un accord collectif ou prendre une décision unilatérale sur le périmètre de mise en place du CSE ;
  • Soit elle signifie que l’employeur a l’obligation préalable de négocier un accord collectif ; une décision unilatérale n’étant envisageable qu’en cas d’échec de cette négociation.

La Cour de cassation opte pour la seconde interprétation. Pour elle en effet, il résulte des articles L2313-2 et L2313-4 que ce n’est qu’après « une tentative loyale de négociation, que l’employeur peut fixer par décision unilatérale le nombre et le périmètre des établissements distincts. ». La note explicative de l’arrêt fonde cette décision sur « la prévalence accordée par le législateur à la négociation collective pour la détermination du processus électoral et […] l’importance particulière, à cet égard, de la détermination du périmètre de la mise en place des institutions représentatives du personnel ». 

Ainsi, ce n’est qu’après avoir loyalement, mais vainement, tenté de négocier un accord sur le nombre et le périmètre des établissements distincts, que l’employeur peut les fixer par décision unilatérale.

  • En l’absence d’accord, la décision unilatérale de l’employeur sur le nombre et le périmètre des établissements distincts doit répondre à un formalisme particulier

Selon l’article R2313-1 du Code du travail, l’employeur porte à la connaissance de chaque organisation syndicale représentative dans l'entreprise et de chaque organisation syndicale ayant constitué une section syndicale dans l'entreprise sa décision portant sur la détermination du nombre et du périmètre des établissements distincts, et ce par tout moyen permettant de conférer date certaine à cette information.

Selon la Cour de cassation, cette décision doit faire l’objet d’une information spécifique et préalable à l’organisation des élections professionnelles. Elle seule fait courir le délai de recours devant l’autorité administrative et, en l’absence d’information préalable régulière, le délai de contestation ne peut courir.

En l’espèce, l’employeur a uniquement informé les organisations syndicales à l’occasion de l’invitation à négocier le PAP qu’un CSE unique serait élu. Dans ces conditions, le délai de 15 jours pour contester cette décision n’a pas commencé à courir.

  • La saisine du Direccte concernant la détermination du nombre et du périmètre des établissements distincts suspend obligatoirement le processus électoral et interdit à l’employeur d’organiser les élections tant que la décision du Direccte n’est pas intervenue

En l’espèce, l’employeur a organisé les élections alors même que le Direccte avait été saisi d’une contestation sur le nombre et le périmètre des établissements distincts et n’avait pas rendu sa décision sur ce point puisqu’il avait enjoint à l’employeur d’ouvrir une négociation sur le nombre et le périmètre des établissements distincts.

Dans le cadre du pourvoi, l’employeur fait valoir que les élections ont été organisées sans être contestées dans le délai de 15 jours (article R2314-24 du Code du travail) et qu’elles sont par conséquent purgées de tout vice (Cass. Soc., 4 juillet 2018, pourvoi n° 17-21.100).

La Cour de cassation écarte cet argument, la détermination du nombre et du périmètre des établissements distincts ne relevant pas du contentieux préélectoral dès lors que cette négociation relève d’un accord collectif de droit commun qui peut intervenir à tout moment (L2313-2 du Code du travail).

Par ailleurs, l’article L2313-5 du Code du travail dispose qu’en cas de litige portant sur la décision unilatérale de l’employeur relative au périmètre de mise en place du CSE, la saisine de l’autorité administrative suspend le processus électoral jusqu’à la décision administrative et entraîne la prorogation des mandats des élus en cours jusqu’à la proclamation des résultats du scrutin.

En conséquence, le délai de recours contre les élections organisées n’a pas commencé à courir.

Préconisations pratiques

La négociation collective préalable portant sur le nombre et le périmètre des établissements distincts doit être loyale et donner lieu à la tenue de plusieurs réunions avec les délégués syndicaux. Il est donc nécessaire, en amont du processus électoral, c’est-à-dire avant l’invitation des organisations syndicales à venir négocier le protocole d’accord préélectoral, de prévoir un délai suffisant pour que cette négociation collective puisse se dérouler dans de bonnes conditions. Il convient également de la formaliser (invitations aux réunions de négociation, envoi d’un projet d’accord collectif pour servir de base à la négociation, éventuellement compte-rendu de réunion de négociation).

Ce n’est qu’à l’issue d’une négociation loyale et en l’absence de signature d’accord collectif, que l’employeur pourra prendre une décision unilatérale sur le nombre et la composition des établissements distincts. La décision unilatérale doit faire l’objet d’une information des organisations syndicales concernées spécifique et avec date certaine. Une information claire sur le nombre et le périmètre des établissements distincts par courrier recommandé avec avis de réception est la solution la plus sécurisée afin de faire courir le délai de 15 jours pour contester cette décision.

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