Quand les conseillers prud’homaux font de la résistance

18/01/2019
Plusieurs Conseils de Prud’hommes ont écarté l’application du barème fixé par l'article L. 1235-3 du Code du travail qui plafonne les indemnités dues au salarié en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Les ordonnances dites « Macron » ont modifié l’article L.1235-3 du Code du Travail en instituant une indemnité minimale et maximale devant être octroyée au salarié dont le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse, au regard de son ancienneté et de l’effectif de l’entreprise. 

Le nouvel article L.1235-3 du Code du travail s’applique pour tous les licenciements notifiés dès le 24 septembre 2017.

Saisi de la question, le Conseil constitutionnel a reconnu conformes à la Constitution, les dispositions de l’article susvisé, ces dernières ne méconnaissant, selon lui, « pas la garantie des droits ni aucune autre exigence constitutionnelle » (Décision n° 2018-761 DC, 21 mars 2018).

Toutefois, quatre décisions ont été rendues, à ce jour, par des Conseils de Prud’hommes, écartant l’application de cet article au travers de motivations discordantes.

Dans ces quatre affaires, la motivation retenue par le Conseil de Prud’hommes en vue d’écarter l’application des minima et maxima de l’article L.1235-3 du Code du Travail est particulièrement hétérogène.

Ainsi :

  • Le Conseil de Prud’hommes de Troyes (jugement du 13 décembre 2018) juge que les dispositions de cet article violent à la fois la Charte Sociale Européenne et la Convention n°158 de l’OIT.
  • Le Conseil de Prud’hommes d’Amiens (jugement du 19 décembre 2018) fonde sa décision au regard du seul article 10 de la Convention 15* de l’OIT.
  • Le Conseil de Prud’hommes de Lyon (jugement du 21 décembre 2018) semble s’appuyer uniquement sur l’article 24 de la Charte Sociale Européenne**.

Plus surprenant encore, alors même qu’aucune des parties n’avaient soulevé l’application de l’article L.1235-3 du Code du travail, le salarié ayant été licencié en 2014 en l’espèce, le Conseil de Prud’hommes de Lyon  a, de lui-même, écarté l’application de l’article susvisé et fait prévaloir « la nécessité d’une indemnisation intégrale des préjudices subis par le Salarié », Au surplus, le Salarié disposait d’une ancienneté de moins de 2 ans et l’ancien article L.1235-5 du Code du Travail, applicable à la présente instance, disposait que le salarié pouvait prétendre à « une indemnité correspondant au préjudice subi ». (CPH Lyon, 07/01/2019, RG 15/01398).

Le Conseil de Prud’hommes de Lyon pouvait donc s’abstenir de tels développements.

Au-delà de la motivation, distincte selon chaque affaire, il est particulièrement intéressant de relever les différences en matière d’indemnisation du préjudice.

En effet, sur les quatre décisions rendues, trois d’entre elles accordent une indemnisation conforme ou proche des plancher et plafond de l’article L. 1235-3 du Code du travail.

Juridiction

Ancienneté

Indemnité octroyée

Barème Macron

CPH de Troyes – Jugement du 13 décembre 2018, RG n°18/00036

2 ans et 11 mois

9 mois

3-3,5 mois

CPH de Lyon- Jugement du 21 décembre 2018 RG n°18/01238

Moins de 2 ans selon le CPH

3 mois

1-2 mois

CPH d’Amiens- Jugement du 19 décembre 2018, RG n°18/00040

1 an et 8 mois

1,5 mois

1-2 mois

CPH de Lyon-

Jugement du 7 janvier 2019

RG n°15/01398

1 an

2,5 mois

1-2 mois

En conclusion, ce qui pouvait être au départ identifié comme une décision isolée de la part du Conseil de prud’hommes de Troyes pourrait conduire de nombreux conseils de prud’hommes à retenir cet argumentaire.

A notre connaissance, seul le Conseil de Prud’hommes du Mans a jugé que les dispositions de l’article L.1235-3 du Code du Travail n’étaient pas contraires à l’article 10 de la convention OIT n°158.

Le Syndicat des Avocats de France a indiqué de son côté développer systématiquement dans les dossiers qu’il représente les arguments précités afin de faire écarter l’application des plancher et plafond de l’’article L. 1235-3 du Code du travail.

Les décisions de Cours d’appel puis de la Cour de cassation sont donc très attendues.

  Art 10 de la Convention n°158 de l’OIT : « Si les organismes mentionnés à l'article 8 de la présente convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n'ont pas le pouvoir ou n'estiment pas possible dans les circonstances d'annuler le licenciement et/ou d'ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d'une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée ».
** Art 24 de la Charte sociale européenne : « En vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s’engagent à reconnaître :[…] le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée »
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