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Actance - 1er Octobre 2025

Réforme de l’action de groupe en droit du travail : analyse du nouveau cadre légal

Introduite en droit du travail en 2016, l’action de groupe a fait l’objet d’une profonde refonte avec la loi n°2025-391 du 30 avril 2025 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne[1], complétée par deux décrets d’application au cours de l’été[2].

A l’occasion de la publication de la circulaire de présentation de cette réforme[3], Aline Clédat et Marie-Line Le Bouillonnec reviennent sur les nouveaux contours de ce dispositif.

Genèse et caractéristiques du dispositif d’origine : une ambition collective, des résultats mitigés

L’action de groupe, inspirée de la « class action » pratiquée aux Etats-Unis, a d’abord été initiée en droit de la consommation avec la loi « Hamon » du 17 mars 2014.

Il s’agit d’une action représentative visant à protéger les intérêts collectifs d’un groupe de personnes ayant subi un même manquement ou un manquement de même nature à une obligation légale ou contractuelle. 

A compter de 2016, l’action de groupe a été étendue au droit de la santé puis au droit du travail avec l’adoption de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle[4]

Avant la réforme d’avril 2025, le régime juridique de l’action de groupe fonctionnait selon une logique de dispositifs sectoriels et variait selon le domaine dans lequel elle était formée. En droit du travail, l’action de groupe était limitée à :

  • La lutte contre les discriminations (telles que visées à l’article L. 1132-1 du Code du travail) ;
  • La protection des données personnelles

Cette action avait pour objectif d’obtenir la cessation d’un manquement et/ou la réparation du préjudice en résultant. 

La qualité à agir dans le cadre d’une action de groupe était limitée par le Code du travail : 

  • Aux organisations syndicales de salariés représentatives, afin d’établir que plusieurs candidats à un emploi à un stage ou à une période de formation en entreprise ou plusieurs salariés font l’objet d’une discrimination, directe ou indirecte, imputable à un même employeur.
  • Aux associations régulièrement déclarées depuis au moins cinq ans intervenant dans la lutte contre les discriminations ou œuvrant dans le domaine du handicap. A noter que les associations ne pouvaient agir que pour la défense des intérêts de plusieurs candidats à un emploi ou à un stage en entreprise.

Dans ces deux hypothèses, l’action de groupe était principalement concentrée sur l’hypothèse d’une discrimination à l’embauche, et par conséquent en dehors de tout lien contractuel entre l’entreprise et le candidat.

L’action de groupe a rencontré peu de succès en droit du travail. Le Défenseur des Droits relevait notamment que depuis son entrée en vigueur, un nombre très limité d’actions de groupe entreprises en matière de discrimination avait été porté à sa connaissance, aucune de ces procédures n’ayant abouti à une condamnation[5].

Dans le cadre de la transposition de la directive du 25 novembre 2020 relative aux actions représentatives visant à protéger les intérêts collectifs des consommateurs[6], le législateur français a réformé la procédure de l’action de groupe en instaurant un régime juridique unique.

L’action de groupe est dorénavant définie comme une action « exercée en justice par un demandeur pour le compte de plusieurs personnes physiques ou morales, placées dans une situation similaire, résultant d’un même manquement ou d’un manquement de même nature à ses obligations légales ou contractuelles commis par une personne agissant dans l’exercice ou à l’occasion de son activité professionnelle, par une personne morale de droit public ou par un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public. ».

Apports de la loi : élargissement du domaine d’action, ouverture de la qualité à agir...

CE QUI NE CHANGE PAS

La loi du 30 avril 2025 reprend les objectifs poursuivis par l’action de groupe puisqu’elle vise :

  • Soit à faire cesser un manquement ;
  • Soit à obtenir la réparation d’un préjudice, quelle qu’en soit la nature, subis du fait de ce manquement ;
  • Soit la satisfaction de ces deux prétentions.

La réforme maintient la qualité à agir des organisations syndicales représentatives à exercer une action de groupe. 

Les domaines de la lutte contre les discriminations et de la protection des données personnelles demeurent expressément visés dans le champ de l’action de groupe exercée par des organisations syndicales représentatives. 

CE QUI CHANGE

La réforme apporte toutefois de grands changements relatifs :

  • Aux entités ayant qualité à agir dans le cadre d’une action de groupe ;
  • Et aux domaines dans lesquels celle-ci peut être exercée.

Elargissement du champ des domaines couverts par l’action de groupe :

Alors que l’action de groupe ne pouvait, avant la réforme, n’être exercée que dans certains secteurs limitativement prévus par la loi, les domaines couverts sont désormais élargis puisqu’elle peut désormais porter sur tout manquement à une obligation légale ou contractuelle – tous domaines confondus.  

Elargissement des entités ayant qualité à agir :

Sont désormais habilités à introduire une action de groupe :

  • Les organisations syndicales représentatives: en matière de lutte contre les discriminations, de protection des données personnelles, et de cessation d’un manquement d’un employeur ou de réparation de dommages causés par ce manquement à plusieurs personnes placées sous l’autorité de cet employeur ;
  • Les associations à but non lucratif agréées par l’autorité administrative et dont la liste sera prochainement publiée par décret ;
  • Certaines associations non agréées (associations à but non lucratif régulièrement déclarées depuis 2 ans au moins qui justifient de l'exercice d'une activité effective et publique de 24 mois consécutifs et dont l'objet statutaire comporte la défense d'intérêts auxquels il a été porté atteinte), uniquement pour les actions de groupe ayant pour objet la cessation d’un manquement;
  • Le ministère public.

En pratique, en droit du travail, les entités les plus susceptibles d’introduire une telle action seront les organisations syndicales représentatives et les associations. 

Sanction civile pour faute dolosive : bien que cette nouvelle sanction ne soit pas propre à l’action de groupe, elle vise à sanctionner l’auteur du manquement qui aurait délibérément commis une faute en vue d’obtenir un gain ou une économie indue, dont le produit serait affecté à un fonds consacré au financement des actions de groupe.

A noter que cette sanction ne peut être prononcée qu’à la demande du ministère public et lorsque le fait générateur de responsabilité est postérieur à la publication de la loi.

Registre public des actions de groupe : La réforme instaure la mise en place d’un registre public des actions de groupe en cours devant l’ensemble des juridictions qui sera à la disposition du public par le ministère de la justice sur son site internet. 

Les mentions des publications sont listées par décret[7] et leurs conditions d’alimentation par les greffes des juridictions seront ultérieurement précisées par arrêté ministériel. 

La loi prévoit également que l’ensemble des personnes mentionnées et habilitées à agir dans le cadre d’une action de groupe prennent toute mesure utile pour informer le public, en particulier sur leur site internet, des actions de groupe qu’ils ont décidé d’intenter devant une juridiction et de l’état d’avancement des procédures et, le cas échéant, des décisions rendues par la juridiction saisie.

Procédure applicable : modalités et évolutions

CE QUI NE CHANGE PAS 

Une grande partie des dispositions antérieures est reprise par la réforme puisqu’elles demeurent formées, instruites et jugées selon les règles applicables à la procédure écrite ordinaire devant le tribunal judiciaire

L’exigence d’une mise en demeure préalable est maintenue lorsque l’action de groupe est fondée sur un manquement au Code du travail, à peine d’irrecevabilité, dans les mêmes délais qu’auparavant :

  • D’abord, l’entreprise doit être mise en demeure de cesser le manquement allégué ;
  • Dans un délai d’un mois à compter de la mise en demeure, l’employeur doit en informer le Comité Social et Economique (CSE) ainsi que les organisations syndicales représentatives dans l’entreprise. A leur demande, l’employeur doit engager une discussion sur les mesures permettant de faire cesser la situation alléguée. 
  • L’action de groupe ne peut ensuite être introduite qu’à l’expiration d’un délai de six mois à compter de cette mise en demeure ou à compter de la notification par l’employeur du rejet de la demande.

Lorsque l’action de groupe tend à la réparation des préjudices subis, elle conserve un régime juridique composé en deux étapes : 

  • Première étape:  le juge statue sur la responsabilité du défendeur, le groupe de personnes à l’égard desquelles la responsabilité du défendeur est engagée, les préjudices susceptibles d’être réparés et leur mode d’évaluation et les mesures de publicité de l’action.

Le juge fixe également le délai dans lequel les personnes répondant aux critères de rattachement et se prévaloir du jugement sur la responsabilité peuvent adhérer au groupe en vue d’obtenir la réparation de leur préjudice. 

  • Deuxième étape: Les personnes souhaitant adhérer au groupe (phase dite d’« opt-in ») peuvent choisir d’adhérer au groupe dans le délai fixé par le juge et adressent une demande de réparation soit à la personne déclarée responsable par le jugement, soit au demandeur à l’action qui reçoit mandat aux fins d’indemnisation. 

La réforme maintient également la possibilité de passer par une médiation pour tenter de parvenir à une convention entre les parties réglant les conditions de l’indemnisation amiable des dommages. L’accord ainsi négocié au nom du groupe demeure soumis à l’homologation du juge.  

Suspension de la prescription : comme auparavant, l’action de groupe suspend la prescription des actions individuelles en réparation des préjudices résultant des manquements constatés par le juge ou des faits retenus dans l’accord homologué.

Le délai de prescription ne recommence à courir qu’à compter de la date à laquelle le jugement n’est plus susceptible de recours ou la date à laquelle l’accord a été homologué, sans pouvoir être inférieur à six mois. 

A titre de précision, l’action de groupe n’est pas exclusive d’actions individuelles sous réserve de l’autorité de la chose jugée du jugement sur la responsabilité ou du jugement d’homologation de l’accord. 

CE QUI CHANGE

Suppression de la référence à la mise en demeure comme point de départ des préjudices indemnisables. Alors que les anciennes dispositions du Code du travail prévoyaient que sont seuls indemnisables dans le cadre de l’action de groupe, pour les salariés, les préjudices nés après la réception de la mise en demeure, cette restriction n’a pas été reprise dans le nouveau régime. 

L’exigence de présentation de cas individuels est maintenue uniquement pour les actions de groupe en réparation des préjudices. Avant la réforme, l’assignation devait exposer expressément et à peine de nullité des cas individuels présentés par le demandeur au soutien de son action de groupe, qu’elle soit exercée en vue d’obtenir la cessation d’un manquement et/ou de la réparation d’un préjudice. Désormais, la présentation des cas individuels n’est exigée que lorsque l’action de groupe tend à  la réparation des préjudices subis.

Tribunaux judiciaires spécialement désignés. La réforme prévoit que les actions de groupe engagées en toutes matières doivent être présentées devant des tribunaux judiciaires spécialement désignés dont la liste a été publiée par un décret du 16 juillet 2025[8].

Encadrements prévus par la réforme

Les divers élargissements apportés par la réforme s’accompagnent de plusieurs mécanismes de régulation destinés à encadrer l’action de groupe, et notamment :

  • Le maintien de l’exigence de mise en demeure préalable en droit du travail. Dans un contexte où les modes alternatifs de règlement des différends sont activement promus, cette exigence pourra permettre aux entreprises, le cas échéant, de procéder à une éventuelle mise en conformité avant toute saisine du tribunal judiciaire ;
  • La possibilité pour le juge de rejeter une action de groupe manifestement irrecevable ou infondée, dès l’introduction de l’instance ;
  • La faculté pour le juge d’ordonner des mesures de publicité en cas de rejet ou d’irrecevabilité d’une action de groupe.

*** 

Les avocats d’Actance sont à votre disposition pour vous accompagner dans l’appréhension du dispositif de l’action de groupe, définir une stratégie adaptée en cas de saisine éventuelle et vous assister efficacement dans ce type de contentieux.

[1] Loi n°2025-391 du 30 avril 2025 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes – Article 16

[2] Décret n° 2025-653 du 16 juillet 2025 désignant les tribunaux judiciaires compétents en matière d’action de groupe ; Décret n° 2025-734 du 30 juillet 2025 relatif à la procédure applicable aux actions de groupe et au registre des actions de groupe

[3] Circulaire n° CIV/09/2025 du 1er août 2025

[4] Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle

[5] Défenseur des droits – Assurer une réelle portée à l’action de groupe, Fiche 3, 01/02/2024

[6] Directive (UE) n° 2020/1828 du 25 novembre 2020

[7] Décret n° 2025-734  du 30 juillet 2025 relatif à la procédure applicable aux actions de groupe

[8] Décret n° 2025-653 du 16 juillet 2025 désignant les tribunaux judiciaires compétents en matière d'action de groupe. Il s’agit de : Bordeaux, Lille, Lyon, Marseille, Nancy, Paris, Rennes, Fort-de-France.