L’attribution gratuite d’actions (AGA), également dénommée Restricted Stock Unit (RSU), Long Term Incentives (LTI) ou encore actions de performance, permet à tout ou partie des salariés d’une entreprise ou d’un groupe, d’acquérir des actions de l’entreprise ou d’entreprises du groupe, sans contribution financière de leur part.
Le dispositif est initié par l’assemblée générale, et il appartient au conseil d'administration de préciser sa mise en œuvre, et généralement, ses bénéficiaires.
Le plan d’attribution, qui ne confère aucun droit immédiat, doit prévoir, aux termes de l’article L225-197-1 du code du commerce :
La durée cumulée de ces périodes ne peut être inférieure à deux ans.
Usuellement une condition de présence dans l’entreprise au terme de la période d’acquisition (ou vesting period) est prévue pour pouvoir bénéficier effectivement de cette attribution.
Ce dispositif d’actionnariat salarié présente de nombreux avantages tant pour les salariés que pour les employeurs, puisqu’il permet :
Il est, en outre, assorti d’un traitement fiscal et social particulier, en raison du caractère aléatoire des droits des salariés désignés comme bénéficiaires, alors qu’il est souvent perçu ou même présenté comme un élément de rémunération, voire de gratification, lié à leur investissement professionnel.
Ce caractère aléatoire, lié aux conditions édictées dans le plan, généralement en lien avec une performance prédéfinie et la présence à la date fixée pour l’acquisition des titres, génère un contentieux abondant, lorsque les salariés quittent l’entreprise pendant la phase d’acquisition.
L’arrêt rendu le 18 juin 2025 (n°23-19.748), par la chambre sociale de la Cour de cassation est une illustration de sa jurisprudence sur la nature des attributions gratuites d’actions, et sur la possibilité d’ouvrir, ou non, droit à indemnisation au titre d’une perte de chance, pour les salariés privés des titres non acquis du fait du transfert légal de leur contrat de travail.
Dans cet arrêt, des salariés bénéficiaires d’un plan d’attribution gratuite d’actions, ont été transférés par application de l’article L.1224-1 du code du travail, au sein d’une nouvelle entité au sein de laquelle leurs contrats de travail se sont poursuivis automatiquement. Contestant la non-acquisition des actions de l’ancienne société du fait du transfert, ils ont saisi la juridiction prud’homale pour obtenir l’indemnisation de leurs préjudices. Déboutés de leurs demandes en appel, leur pourvoi en cassation a été rejeté par la Haute Juridiction.
Confirmation de la nature juridique de l’attribution d’actions gratuites
Cette décision s’inscrit dans le prolongement de la jurisprudence récente de la Cour de cassation qui retient que l’attribution gratuite d’actions est un avantage distinct qui ne constitue pas un élément de rémunération, et doit, dès lors, être exclu de l’assiette du salaire à prendre en considération pour le calcul des indemnités de licenciement[1].
Pour rappeler que les avantages issus de ce dispositif d’actionnariat salarié n’ont pas la nature juridique d’un élément de rémunération, la Cour de cassation vise l’article L.225-197-1 du code du commerce susmentionné, duquel il ressort que :
Enfin, en rejetant l’argument selon lequel l’attribution régulière des actions pourrait constituer un droit acquis, elle réaffirme sa solution selon laquelle « les actions gratuites de la société mère juridiquement distincte de l'employeur ne constituaient pas une partie de la rémunération mais un avantage distinct, de sorte qu'elles n'avaient pas la nature d'un salaire ».
Le fait que la Cour de cassation évoque dans les circonstances de l’affaire, que les actions gratuites attribuées étaient celles de la société mère du groupe auquel appartenait l’employeur des demandeurs, n’est pas déterminant dans la solution qu’elle retient, qui est transposable aux plans institués au sein d’une seule entreprise et concernant ses propres actions.
Absence de préjudice de perte de chance de bénéficier des actions en cas de transfert légal
Cette solution peut être rapprochée de la situation des salariés qui n’ayant pu, du fait de leur licenciement sans cause réelle et sérieuse intervenu avant le terme de la période d’acquisition, se voir attribuer de manière définitive et effective des actions gratuites, subissent une perte de chance[2].
Sur cette base, les salariés demandeurs au pourvoi sollicitaient l’attribution de dommages et intérêts pour perte de chance.
Pour mémoire, selon une jurisprudence constante, la perte de chance est indemnisable, en présence d’une faute du responsable, générant un préjudice au détriment d’une victime. Il ne s’agit pas alors, d’indemniser la perte d’un droit, qui en l’espèce, selon la Cour de cassation n’existait pas, mais la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable, en l’occurrence la possibilité de devenir propriétaire des actions gratuites à l’issue de la période d’acquisition.
Tel n’est pas le cas lorsque les salariés perdent leurs droits en cours d’acquisition des actions, du fait d’un transfert d’entreprise. En effet, dans l’arrêt commenté, la Haute Juridiction retient que « le salarié qui n'a pu, du fait du transfert légal de son contrat de travail intervenu avant le terme de la période d'acquisition, se voir attribuer de manière définitive des actions gratuites, ne peut revendiquer aucune indemnisation pour la perte de chance d'avoir pu les acquérir, sauf à démontrer une fraude de l'employeur dans le recours à l'article L. 1224-1 du code du travail. »
Elle écarte ainsi implicitement l’argument fondé sur l’article 1304-4 du code civil (anciennement 1178) selon lequel une condition suspensive doit être réputée accomplie lorsque le débiteur, obligé sous cette condition, en a empêché l’accomplissement.
En outre, bien que le départ des salariés de l’entreprise soit indépendant de leur volonté, elle ne retient aucune faute de l’employeur de nature à entraîner une perte de chance indemnisable de bénéficier des actions. Elle confirme ainsi sa jurisprudence selon laquelle, en l’absence de caractérisation d’une fraude, d’un abus de droit ou d’une remise en cause de la légalité du transfert d’entreprise, une réorganisation, ainsi que ses conséquences, ne peuvent être utilement contestées[3].
En tout état de cause, la Cour de cassation précise que les salariés avaient connaissance des conséquences qu’emportait un tel transfert puisque le plan d’attribution d’actions prévoyait expressément que les actions gratuites non définitivement acquises étaient annulées en cas de départ de l’entreprise, et que les salariés concernés en avaient été individuellement informés.
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La Cour de cassation réaffirme ainsi avec rigueur les principes qui gouvernent les dispositifs d’attribution gratuite d’actions, tout en apportant une précieuse clarification sur leur sort en cas de transfert légal de contrats de travail.
Elle rappelle que ces dispositifs, bien qu’attractifs pour fidéliser les salariés, reposent sur des conditions strictes d’acquisition et n’emportent aucun droit acquis tant que celles-ci ne sont pas intégralement remplies. En conséquence, le transfert du contrat de travail à un nouvel employeur, même s’il compromet définitivement l’acquisition des actions, ne constitue pas une faute ouvrant droit à indemnisation au titre de la perte de chance, sauf à démontrer une fraude de l’employeur.
Enfin, la Haute juridiction met l’accent sur la nécessaire qualité de l’information délivrée par l’employeur, notamment lors de l’attribution des actions. Au cas d’espèce, les documents d’information remis par l’employeur insistaient tout particulièrement sur le caractère aléatoire et conditionnel des droits objet de l’opération. Il est probable que la solution aurait été différente, si ces caractéristiques essentielles de ce type de dispositif n’avaient pas été mentionnées dans la documentation remise aux salariés.
[1] Cass. Soc 22 mai 2024 n°22-18.182 et Cass. Soc. 15 novembre 2023, n°22-12.501
[2] Cass. Soc. 7 février 2018, n°16-11.635 ; Cass. Soc. 26 février 2025 n° 23-15.072
[3] Voir en ce sens Cass. Soc. 9 mars 2016, n°14-11.837