Brève
Actance - 19 Décembre 2025

Conflit d’intérêt présumé : le salarié, en couple avec une ancienne salariée en litige avec la société, n’a pas à informer l’employeur sur sa situation familiale

La Cour de cassation rappelle les limites que l’employeur ne peut franchir lorsqu’il invoque un prétendu conflit d’intérêts fondé sur la vie personnelle du salarié. Par un arrêt du 10 décembre 2025, la chambre sociale censure une Cour d’appel ayant refusé d’annuler le licenciement d’un cadre à qui il était reproché d’avoir dissimulé son lien matrimonial avec une ancienne salariée en litige avec l’entreprise, en violation d’une charte éthique interne.

La jurisprudence de la Cour de cassation est constante : un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut, en principe, justifier un licenciement disciplinaire, sauf s’il caractérise un manquement à une obligation découlant du contrat de travail. En outre, le salarié bénéficie, même sur le lieu et le temps de travail, du droit au respect de sa vie privée.

En l’espèce, un salarié employé comme auditeur interne senior est licencié par lettre du 18 décembre 2018. L’employeur lui reproche d’avoir dissimulé son lien matrimonial avec une ancienne salariée de l’entreprise engagée dans un différend judiciaire avec celle-ci. 

La société se fonde sur les engagements pris par le salarié au titre du code éthique. Selon ce code éthique, les collaborateurs doivent éviter « les conflits d’intérêts avérés ou apparents ». Par ailleurs, « dans les limites autorisées par la loi applicable, les collaborateurs sont tenus de signaler à leur supérieur hiérarchique toute relation d’affaires effective ou potentielle y compris celles avec des membres de leur famille, susceptibles de donner lieu à un conflit d’intérêts ». 

L’employeur invoque également une clause du contrat de travail du salarié lui imposant « d’informer son employeur de toute modification de sa situation familiale ». 

Le salarié saisit la juridiction prud’homale pour obtenir la nullité de son licenciement pour violation du droit au respect de sa vie privée. 

Débouté par les juges prud’homaux, le salarié saisit la cour d’appel, qui confirme la validité du licenciement. Celle-ci considère que, compte tenu de son niveau hiérarchique et de ses responsabilités, l’intéressé devait informer l’employeur d’un risque possible de conflit d’intérêts né de son lien matrimonial avec une ancienne salariée en contentieux avec la société. La cour d’appel souligne notamment l’étendue des missions du salarié, son accès à des informations sensibles et stratégiques, ainsi que les exigences accrues de loyauté, de transparence et d’exemplarité attachées à ses fonctions. Elle en déduit que la dissimulation reprochée constituait une violation tant des engagements contractuels que des règles éthiques de l’entreprise, de nature à faire naître un doute légitime sur la loyauté du salarié.

La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel. Elle rappelle d’abord que l’employeur ne peut, sans porter atteinte au droit au respect de la vie privée, obliger les salariés à lui communiquer des informations relatives à leur situation familiale.

Surtout, elle reproche aux juges du fond de ne pas avoir constaté « que la situation matrimoniale du salarié était en rapport avec ses fonctions et susceptible d’influer sur leur exercice au détriment de l’intérêt de l’entreprise, alors que l’existence d’un différend judiciaire entre son épouse, ancienne salariée de l’entreprise, et l’employeur, ne suffisait pas à caractériser l’existence d’un conflit d’intérêts, tel que défini par la charte applicable dans l’entreprise ».

Il en résulte que le salarié n’était pas tenu d’informer son employeur de sa situation matrimoniale, et ce, « peu important » la clause contractuelle l’obligeant à déclarer toute modification de sa situation familiale.

Cet arrêt s’inscrit dans une jurisprudence protectrice de la vie privée des salariés rappelant que les chartes éthiques ne sauraient justifier une intrusion disproportionnée dans la sphère personnelle des salariés ni ériger en conflit d’intérêts toute situation familiale indirectement liée à l’entreprise.

La Cour de cassation invite ainsi les juges du fond à un contrôle rigoureux du lien concret entre la situation personnelle invoquée et les fonctions effectivement exercées, condition indispensable pour admettre une restriction au droit au respect de la vie privée ou une obligation déclarative sanctionnable.

Cass. soc., 10 décembre 2025, n°24-17.316