Secrets d’affaires : quels outils pour les Ressources Humaines ?

22/03/2019
La loi n° 2018-670 du 30 juillet 2018, qui a transposé en droit interne la directive 2016/943/UE du 8 juin 2016, apporte une meilleure sécurité juridique aux entreprises françaises qui bénéficient dorénavant d’un cadre protecteur pour leurs secrets d’affaires, comme la plupart de leurs concurrents étrangers. Le décret d’application (n° 2018-1126) de cette loi a été publié le 13 décembre 2018. Marie-Bénédicte Bourgois et LoÏc Touranchet apportent des solutions aux Ressources Humaines pour préserver le secret d’affaires.

Il est conseillé aux Ressources Humaines de mener une réflexion sur l’utilisation de ce nouveau moyen de protection de l’entreprise, dans les relations avec les salariés et les représentants du personnel, en sus des instruments déjà en leur possession.

Se pose, en effet, la question de l’articulation de ce nouvel outil juridique qui relève du droit commercial avec les règles de loyauté et de confidentialité applicables en droit du travail.

  • 1. L’instauration d’un régime de protection du secret des affaires dans le code de commerce…

Pour la première fois, le législateur est venu définir le secret des affaires en précisant que l’information doit répondre aux trois critères cumulatifs suivants pour être protégée juridiquement  :

  • l’information ne doit pas être, en elle-même ou dans la configuration et l'assemblage exacts de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d'informations en raison de leur secteur d'activité ;
  • l’information doit revêtir une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ;
  • l’information doit faire l'objet de la part de son détenteur légitime de mesures de protection raisonnables, compte tenu des circonstances, pour en conserver le caractère secret.

Dès lors que les trois conditions susvisées sont remplies, l’entreprise est en droit de saisir la justice afin de prévenir ou faire cesser l’atteinte à son secret des affaires, voire solliciter une réparation financière. Aucune sanction pénale n’est prévue par les textes.

Le champ du secret des affaires est très vaste puisqu’il comprend tout type d’informations secrètes (ex : projet d’acquisition d’une entreprise, stratégie commerciale, fichiers clients, données financières) ne devant pas être divulguées à des concurrents en raison de leur intérêt commercial.

  • 2…qui s’ajoute aux régimes de protection déjà existants en droit du travail
  • Avant la loi du 30 juillet 2018

 Protection vis-à-vis des salariés :

Les informations confidentielles peuvent notamment être divulguées par des salariés sous contrat ou d’anciens salariés.

Pour se protéger, outre le principe général de loyauté qui s’impose aux salariés, les Ressources Humaines peuvent avoir recours à l’insertion dans les contrats de travail, ou avenants contractuels :

  • d’une clause de non-divulgation des informations confidentielles portées à la connaissance du salarié pendant l’exécution de son contrat de travail ;
  • d’une clause de non-concurrence qui empêche le salarié d’occuper un poste similaire chez un concurrent pendant un laps de temps défini, sous réserve d’être indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, d’être justifiée par les fonctions du salarié, d’être définie dans le temps et dans l’espace, et de faire l’objet d’une contrepartie financière.

Les protocoles d’accord transactionnel peuvent également contenir une clause de non-divulgation des informations portées à la connaissance du salarié à l’occasion de ses fonctions.

Protection vis-à-vis des représentants du personnel :

Les représentants du personnel (membres du Comité d’Entreprise - CE et du Comité Social et Economique – CSE, représentants syndicaux) sont également concernés par la protection de la confidentialité puisque leurs mandats leur donnent accès à des informations particulièrement sensibles dont la divulgation pourrait nuire à l’entreprise (ex : résultats commerciaux, études de marché, projet de lancement d’un nouveau produit).

Aussi, le législateur leur impose une obligation de discrétion dès lors que l’information portée à leur connaissance revête un caractère confidentiel et est présentée comme telle par l’employeur.

Bien qu’aucune sanction pénale ne soit prévue en cas de violation de l’obligation de discrétion, l’employeur peut agir sur le plan civil soit en envisageant une sanction disciplinaire, soit en intentant une action en réparation du préjudice subi par l’entreprise. Il lui appartient alors d’apporter la preuve de ce préjudice ainsi que son lien avec la méconnaissance de l’obligation.

Par ailleurs, les membres du CE/CSE sont tenus au secret professionnel pour toutes les questions relatives aux procédés de fabrication  dont la violation est passible, outre une éventuelle sanction disciplinaire, de 2 ans d’emprisonnement et de 30.000 euros d’amende.

Enfin, il existe des informations communiquées au comité qui sont confidentielles par nature. Tel est notamment le cas de certaines informations transmises dans le cadre de la procédure d’alerte  ou à l’occasion de la consultation annuelle sur la situation économique et financière de l’entreprise.

Les experts du CE/CSE sont également tenus aux obligations de secret et de discrétion dans le cadre de l’exécution de leurs missions.

En pratique, l’efficacité des instruments susvisés étant relative, le nouveau cadre juridique instauré par la loi du 30 juillet 2018 s’y ajoute afin de renforcer la protection des informations confidentielles accessibles aux salariés et aux représentants du personnel.

  • Après la loi du 30 juillet 2018

La loi du 30 juillet 2018 donne un outil supplémentaire aux Ressources Humaines pour sécuriser les données stratégiques de l’entreprise. Dès lors que l’employeur démontre que les conditions de l’article L. 151-1 précité sont remplies (Cf. 1), la protection s’applique de plein droit.

Le législateur a néanmoins prévu des cas de dérogation à la protection du secret des affaires, notamment à l’égard des salariés et de leurs représentants, afin de ne pas entraver le droit du travail.

Aussi, à l'occasion d'une instance relative à une atteinte au secret des affaires, le secret n'est pas opposable lorsque  :

  • l'obtention du secret des affaires est intervenue dans le cadre de l'exercice du droit à l'information et à la consultation des salariés ou de leurs représentants ;
  • la divulgation du secret des affaires par des salariés à leurs représentants est intervenue dans le cadre de l'exercice légitime par ces derniers de leurs fonctions, pour autant que cette divulgation ait été nécessaire à cet exercice.

Cette dérogation au secret des affaires n’étant pas générale, l’employeur dispose indirectement de moyens de protection complémentaires :

  • le secret d’affaires reste protégé dans tous les autres cas ne rentrant pas dans les deux hypothèses dérogatoires susvisées. La protection du secret des affaires sera alors opposable aux salariés et aux représentants du personnel en cas de divulgation de leur part, et leur responsabilité civile pourrait être engagée ;
  • les informations entrant dans le champ de la loi demeureront protégées au titre du secret des affaires à l'égard des tiers. A titre d’exemple, à défaut de figurer parmi les personnes visées à l’article L. 151-9 du code de commerce, les experts du CSE ne pourront pas se prévaloir d’un régime dérogatoire au secret des affaires.

En conclusion, pour préserver le savoir-faire des entreprises, les Ressources Humaines doivent examiner les outils à leur disposition afin de protéger le plus efficacement possible leurs données sensibles. Pour cela, deux étapes peuvent être envisagées :

1ère étape : mener une réflexion interne

  • Identifier les informations confidentielles, et plus particulièrement celles relevant du secret des affaires pour lesquelles des mesures de protection doivent être mises en place.

2ème étape : définir les actions à mettre en œuvre

  • Adapter la rédaction des clauses de confidentialité ou de non-divulgation dans les contrats de travail et protocoles d’accord transactionnel en ajoutant la référence au secret d’affaires.
  • Insérer éventuellement une clause de non-concurrence dans les contrats de travail.
  • Rappeler régulièrement aux salariés et aux représentants du personnel leurs obligations en matière de confidentialité et de secret d’affaires (ex : communication interne, réunions, formations, insertion d’une clause dans l’accord collectif encadrant le fonctionnement du CSE).
  • Sensibiliser les collaborateurs sur les enjeux des secrets d’affaires en mettant à jour la politique de protection des données (ex : charte éthique, charte informatique) et en promouvant la loyauté des salariés dans les politiques RH.
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