Accord d’entreprise et télétravail

19/06/2020
Sébastien LEROY, avocat associé du Cabinet Actance, revient sur certaines clauses des accords d’entreprises relatifs au télétravail, la période étant propice à leur conclusion ou à leur révision.

Que ce soit au niveau interprofessionnel ou au niveau des entreprises, le télétravail est au cœur des préoccupations des partenaires sociaux.

Négociations collectives et télétravail entretiennent, il est vrai des liens étroits.

 

              1. Un lien historique mais fragilisé

La réglementation du télétravail a d’abord été du ressort de l’accord collectif.

Un premier accord collectif « cadre » sur le télétravail était, ainsi, conclu par les partenaires sociaux européens, 16 juillet 2002.

Cet accord était transposé en droit interne par l’accord national interprofessionnel du 19 juillet 2005.

La législation ne s’emparera du sujet que par la loi dite « Warsmann » n°2012-387 du 22 mars 2012 (C. trav. art.
L.1222-9 et suivants).

Dans sa version en vigueur, l’article L.1222-9 du Code du  travail maintient le lien entre négociation collective et télétravail en renvoyant à l’accord collectif le soin de mettre en place le télétravail, le recours à une charte n’étant possible qu’à défaut d’accord.

La Loi n°2010-217 du 29 mars  2018 est venue distendre ce lien en permettant la mise en place le télétravail par un simple accord entre le salarié et l’employeur, en l’absence d’accord ou de charte.

En période exceptionnelle, notamment de menace d’épidémie, l’article L.1222-11 du Code du travail permet même à l’employeur d’imposer le télétravail à ses salariés.

La durée de la crise sanitaire et des aspirations nouvelles des collaborateurs conduisent, toutefois, les entreprises à s’interroger sur l’encadrement du télétravail et l’outil permettant d’y procéder.

La négociation ou la révision d’un accord d’entreprise relatif au télétravail apparaît, dès lors, comme étant l’outil à privilégier.

 

               2.  Un lien à régénérer

L’article L.1222-9 du Code du travail fixe le contenu minimal d’un tel accord. Des clauses facultatives devraient s’y ajouter afin de prendre en compte les nouvelles réalités du télétravail.

  • Les salariés éligibles et le mode de télétravail

L’accord devra, bien entendu, définir les salariés éligibles au télétravail habituel par référence à des critères objectifs, tels que l’autonomie ou la classification.

Les critères d’éligibilité devraient être plus souples concernant le télétravail occasionnel.

Les partenaires sociaux pourront aussi faciliter l’accès au télétravail :

  • de personnes en situation de handicap ou un proche aidant en vue de favoriser leur maintien dans l’emploi,
  • de salariés concernés par des restriction médicales,
  • de salariées enceintes.

Le nombre de jours télétravaillés devrait faire l’objet d’un encadrement pour réguler des pratiques informelles qui peuvent être sources d’iniquités.

  • Le caractère volontaire du télétravail

Concernant le télétravail habituel, l’accord collectif rappellera et, surtout, mettra en œuvre le principe selon lequel le télétravail repose sur le double volontariat du salariés et de l’employeur.

A cet effet, l’accord fixera :

  • les modalités de formalisation de l’avenant au contrat ou du recrutement directement en télétravail
  • une éventuelles période probatoire.

Toujours dans le but de réguler des pratiques informelles qui peuvent être sources d’iniquités, l’accord pourrait organiser le télétravail occasionnel en précisant :

  • les cas de recours (difficulté de transport, pic de pollution, risque d’épidémie, ou simple souplesse d’organisation),
  • des modalités souples de mise en œuvre (délai de prévenance raccourci, modalités d’information du salarié, de sa hiérarchie, durée).
  • Le caractère réversible du télétravail

Les partenaires sociaux veilleront à rendre possible la réversibilité du choix de télétravailler, question qui ne concerne que le télétravail habituel.

A cet effet, les parties devront d’abord faire un choix quant à la durée du passage en télétravail – pour une durée indéterminée ou pour une durée déterminée ?

Une fois la réponse a cette question apportée, l’accord détaillera la ou les procédures nécessaires à la mise en œuvre du principe de réversibilité et accordera une priorité d’accès, selon le cas, à un poste non-télétravaillé ou télétravaillé.

  • Les lieux du télétravail

A côté du télétravail à domicile, les partenaires sociaux devront s’interroger sur la possibilité et l’encadrement du télétravail habituel ou occasionnel dans des espaces de coworking ou encore dans une résidence secondaire.

Ces derniers lieux peuvent, en effet, permettre de lever des freins au télétravail tenant à la configuration ou à l’occupation du domicile.

  • Le respect des règles de durée, d’organisation du temps de travail et de repos

L’accord pourrait se contenter de souligner que le respect des règles de durée, d’organisation du temps de travail et les repos quotidien et hebdomadaire s’appliquent aussi au télétravailleur.

Il pourrait aller plus loin en prévoyant un horaire variable individualisé, la disparition du temps de trajet domicile - lieu de travail favorisant une réflexion sur les horaires habituels de travail.

La fixation des plages horaires pendant lesquels le salarié est joignable relèvera, quant à elle, du contrat de travail ou de son avenant. Les modalités de décompte du temps de travail, de la responsabilité de l’employeur, n’ont, de leur côté, pas nécessairement vocation à être contractualisées dans un accord collectif.

  • La régulation de la charge de travail, le droit à la déconnexion et la prévention des RPS

Si le contenu du travail à réaliser en télétravail est le même que celui à réaliser sur le site de travail, les conditions d’exercices sont différentes.

En cas de télétravail occasionnel, il est possible que le rythme habituel de travail sur site ne puisse pas être reproduit à domicile, l’environnement pouvant être  moins adapté au travail.

La charge de travail peut, de surcroît, être ressentie différemment en dehors du collectif de travail (meilleure concentration ou, au contraire, difficultés à réaliser ses tâches sans le soutien de ses collègues).

Les partenaires sociaux devraient, en conséquence, prévoir des dispositifs permettant d’encadrer les risques de dérives du télétravail.

Outre l’entretien annuel prévu à l’article L.1222-10 du Code du travail, des outils plus poussés de contrôle de la charge de travail et de prévention des RPS pourraient être envisagés.

Les modalités du droit à la déconnexion pourraient aussi être spécialement adaptées au télétravailleur.

Les salariés occasionnellement en télétravail devraient faire l’objet d’une attention particulière de la part des partenaires sociaux compte tenu de leur relative méconnaissance des usages du télétravail.

  • L’égalité professionnelle et l’équilibre vie professionnelle et vie personnelle et familiale

Le suivi de l’application de l’accord pourrait contenir un mécanisme permettant de s’assurer que le recours au télétravail a effectivement contribué aux objectifs recherchés, notamment, en matière d’égalité professionnelle et d’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle et familiale.

  • L’indemnité d’occupation du logement

Pure création jurisprudentielle, l’indemnité d’occupation du logement s’impose lorsque le salarié est contraint d’affecter une partie de son domicile à des fins professionnelles « dès lors qu'un local professionnel n'est pas mis effectivement à sa disposition » par son employeur (Cass. soc. 8 novembre 2017 n° 16-18.499).

L’accord collectif pourra préciser les hypothèses où cette indemnité n’est pas due, celles où elle l’est et son montant.

Après un basculement brutal et massif en télétravail, ce mode d’organisation du travail a manifestement vocation à perdurer.

L’encadrement du télétravail, qu’il soit occasionnel ou habituel, par la négociation collective permettrait d’éviter des dérives et de favoriser des pratiques vertueuses.

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