Le repos hebdomadaire le dimanche : un principe obsolète ?

09/10/2019
L’hypermarché Géant casino d’Angers s’est vu enjoindre par l’Inspection du travail de cesser d’avoir recours à des prestataires de service pour ouvrir ses portes le dimanche après-midi avec des caisses automatiques et sans salarié. A l’occasion de cette affaire, Claudia Leroy et Chloé Bouchez, avocates du Cabinet, reviennent sur le principe du repos dominical et sa place dans notre société actuelle.

Depuis fin août 2019, l’hypermarché d’Angers est le premier hypermarché de France à ouvrir le dimanche après-midi sans avoir recours à des caissiers mais en faisant appel à des prestataires de services : quatre vigiles pour assurer la sécurité et deux animatrices pour expliquer le fonctionnement des caisses automatiques.

Le 1er septembre 2019, l’Inspection du travail s’est rendue sur place et dit avoir constaté que les vigiles rangeaient des produits en rayon et que les animatrices avaient la gestion du passage des clients aux caisses automatiques, exerçant selon elle une activité salariée.

Elle en déduit que le recours à la prestation de service par l’hypermarché n’avait que pour objet de contourner illégalement l’interdiction faite aux commerces de détail alimentaires d’avoir recours au travail salarié le dimanche après 13 heures.

Ceci nous conduit à la réflexion suivante : quelle compatibilité du principe du repos hebdomadaire le dimanche avec notre société moderne de consommation ?

Pour rappel, le code du travail pose pour principe que le repos hebdomadaire est donné le dimanche.

Pour autant, il existe différentes dérogations :

  • de droit ou
  • autorisées par le maire,
  • le préfet ou arrêté ministériel (ce qui est le cas par exemple des zones touristiques internationales, zones commerciales, zones touristiques et gares).

Les commerces de détail alimentaires bénéficient pour leur part d’une dérogation de droit, les autorisant à faire travailler leurs salariés jusqu’à 13 heures seulement, à moins d’être situé dans une zone touristique internationale ou à proximité de certaines gares.

C’est la raison pour laquelle le Géant casino d’Angers a fait le choix de mettre en place une organisation sans salarié (avec des caisses automatiques) pour ouvrir au-delà de 13 heures.

L’ouverture des commerces de détail alimentaires semble pourtant répondre à une demande des consommateurs dont on pourrait légitimement penser qu’elle devrait compter parmi les nombreuses dérogations au principe du repos hebdomadaire le dimanche.

Et de fait, les besoins du public apparaissent dans le code du travail pour déterminer certaines dérogations au principe du repos hebdomadaire le dimanche.

Mais l’interprétation légale et règlementaire de cette notion de besoin du public ne permet pas de placer dans le cadre légal l’ouverture le dimanche après 13 heures des commerces de détail alimentaires.

Ces dérogations sont les suivantes :

  • Bénéficient d’une dérogation de droit au principe du repos hebdomadaire le dimanche certains établissements dont le fonctionnement ou l’ouverture est rendu nécessaire par les contraintes de la production, de l’activité ou les besoins du public.

Sont concernées certaines industries et des catégories d’établissements énumérées par décret parmi lesquelles les suivantes :

  • les débits de tabac,
  • les établissements de commerce de détail de bricolage,
  • fabrication de produits alimentaires destinés à la consommation immédiate,
  • les cafés et restaurants,
  • les promoteurs et agences immobilières,
  • les entreprises de location de chaises et de moyen de locomotion….

L’on peut donc se demander ce qui justifie qu’un débit de tabac ou un commerce de bricolage, ou encore une entreprise de location de chaises, puisse faire travailler ses salariés toute la journée le dimanche alors qu’un hypermarché n’y est pas autorisé.

  • Il existe également une dérogation pouvant être autorisée par le préfet lorsque le repos du dimanche est préjudiciable au public.

Selon le Journal le Parisien, entre 800 et 1000 clients ont fréquenté le Géant casino d’Angers l’après-midi depuis son ouverture contre 1000 le matin.

C’est dire que les consommateurs ont autant besoin que leur hypermarché soit ouvert le dimanche après-midi que le dimanche matin.

Mais ce besoin ne suffit visiblement pas à caractériser le préjudice qu’induirait la fermeture du magasin le dimanche après-midi, et dont l’existence doit être démontrée par l’entreprise pour obtenir une autorisation d’ouverture.

Sur ce point, la circulaire DRT n°94/5 du 24 mai 1994 mentionne que la notion de préjudice au public doit s’entendre comme l’impossibilité de bénéficier le dimanche de services qui, soit répondent à une nécessité immédiate, insusceptible d’être différée, soit correspondent à des activités familiales ou de loisirs qui, pour la majorité de la population, ne peuvent sans inconvénient sérieux prendre place un autre jour de la semaine.

Le Conseil d’Etat a quant à lui jugé par un arrêt du 29 février 1980 (n°15.024) que la réalité d’un préjudice au public ne pouvait reposer sur de simples motifs de commodité ou de gêne pour la clientèle fréquentant l’établissement en cause, mais d’inconvénients ou dommages réels dont l’appréciation appartient au préfet.

Pourtant, les besoins du public ont évolué depuis 20 ans et les entreprises doivent constamment s’adapter aux changements de la société pour rester compétitives.

Dans une société où l’immédiateté du service est devenue la règle, le principe du repos hebdomadaire le dimanche interdisant l’ouverture des commerces de détail alimentaires après 13 heures peut sembler dépasser.

Le droit interne français pourrait du reste s’inspirer du droit communautaire qui, par la directive du 1er août 2000 a supprimé il y a presque 20 ans l’obligation d’inclure le dimanche dans le repos hebdomadaire.

Lorsqu’il souffre de tellement d’exceptions, peut-on toujours considérer qu’il est justifié de considérer le principe comme la règle ? 

Lorsque l’on sait que l’Inspection du travail peut saisir en référé le Président du Tribunal de grande instance aux fins d’ordonner toutes mesures propres à faire cesser l’emploi illicite en infraction avec les dispositions du code du travail relatives à l’interdiction d’occuper du personnel salarié le dimanche, dans les établissement de vente de détail et de prestations de services au consommateur, nous attendons avec impatience de voir la réaction de Casino à l’injonction qui lui a été faite.

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