Poussée par les ONG, défendue par l’association SHERPA ou des syndicats tels que le SER, faisant suite au drame du Rana Plaza et à la prise de conscience de la « Fashion Revolution Day », la loi sur le devoir de vigilance des sociétés mères et donneuses d’ordre envers leurs filiales et sous-traitants est désormais actée[
La loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 impose aux plus grandes entreprises françaises une nouvelle obligation de vigilance. Celles-ci sont tenues de prendre les mesures de vigilance nécessaires dans le cadre d’un plan d’action afin d’identifier et de "prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l'environnement" causées par leurs activités ou celles de leurs sous-traitants ou fournisseurs à l'étranger avec qui elles ont « une relation commerciale durable ».
Selon Michel Sapin « (…) Le capitalisme doit s’accompagner d’une certaine morale et d’une responsabilisation de tous les acteurs » « Le développement économique est un bien pour tous si ses fruits sont équitablement partagés mais il ne peut se faire au détriment de la protection de la personne, de l’environnement et de la santé publique ».
Si les entreprises française sont de bons élèves, communiquer et dupliquer leurs bonnes pratiques au-delà des frontières reste un exercice délicat mais nécessaire. Selon certains contributeurs de la loi, les entrepreneurs ne doivent pas voir cette loi comme une entrave à leur liberté d’entreprendre ou à l’attractivité des entreprises françaises mais comme une volonté d’établir des règles du jeu communes au-delà du territoire national afin de remettre sur un pied d’égalité les acteurs économiques vertueux des concurrents peu scrupuleux ou peu regardant du respect des droits humains.
L’objectif de cette loi est donc de responsabiliser et d’inciter à la transparence tous les acteurs, non seulement de la chaine de production mais également de la supply chain et de la chaine de sous-traitance. Elle présente également un intérêt fort en terme d’image de marque afin d’éviter d’être qualifiée de « greenwashing » ou de « fairwashing ».
Si cette loi est emblématique, sa mise en pratique risque toutefois d’être rendue délicate de par sa rédaction trop générale voire floue. Décryptage :
Quelles sont les entreprises concernées ? « Toute société qui emploie, à la clôture de deux exercices consécutifs, au moins 5 000 salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français, ou 10 000 salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français ou à l’étranger ».
Quid alors de la filiale établie en France qui occuperait moins de 5.000 salariés mais qui appartiendrait à un groupe de plus de 10.000 salarié ? Les avis divergent du fait de l’ambiguïté de la rédaction.
Cependant, la position du Cabinet ACTANCE à la lecture du texte, des observations du gouvernement et des déclarations notamment de Dominique POTIER, rapporteur de la loi, est que ces dispositions ne peuvent concerner que les sociétés mères qui ont leur siège social en France mais pas nécessairement leurs filiales. Ainsi, comme le note le Gouvernement dans le cadre de ses observations du 28 mars 2017, cela devrait concerner quelque 150 à 200 sociétés multinationales.
Ces obligations s’appliqueront aux sociétés anonymes (SA) mais aussi aux sociétés en commandite par action et les sociétés par actions simplifiées (SAS).
Précisons que lorsqu’une société, dont la taille est suffisante pour que soit exigé de sa part l’établissement d’un plan de vigilance, est contrôlée par une société elle-même soumise à la même obligation, il suffit que la société mère exécute l’obligation pour que la filiale soit réputée y satisfaire.
« Identifier et prévenir la réalisation de risques d’atteintes aux droits humains et aux libertés fondamentales ».
Quels sont ces droits et ces libertés ? Ceux définis par le corpus législatif français, par la constitution, par l’Europe, par l’ONU, par l’OIT ?
Ces questions restent à clarifier.
En outre, si l’on pense en premier au travail illégal des enfants, il semble cependant que ces droits et libertés recoupent de nombreuses notions : dignité et intégrité physique, égalité, formation, santé, environnement, sûreté, liberté d'expression, etc. Ainsi doit-on s’assurer de l’existence de droits tels que le droit de grève, la protection sociale, l’égalité homme/femme, la non-discrimination, le développement durable … ?
Quelle est la nature de cette obligation ? Le gouvernement vient de confirmer qu’il s’agit là d’une « obligation de moyens » pour mettre en œuvre les mesures de vigilance.
Qui doit respecter ces mesures ? Les sociétés mères, les sociétés qu’elles contrôlent directement ou pas, les sous-traitants et fournisseurs avec lesquels elles entretiennent une « relation commerciale établie ». Cette notion pourra également être source de débats.
Que faire ? Etablir un « plan de vigilance » dont le compte-rendu de sa mise en œuvre sera publié dans le cadre du rapport annuel de gestion.
Quel doit être le contenu de ce plan ? Il doit comporter « les mesures de vigilance raisonnable propres à identifier les risques et à prévenir les atteintes graves » à savoir :
Ce plan doit aussi prévenir les comportements de corruption active ou passive et il devra faire l’objet d’une consultation entre l’entreprise et ses parties prenantes.
Bien que l’on reste dans l’attente d’un décret application, il est d’ores et déjà possible en pratique de prévoir certaines mesures :
Soulignons que des plateformes de notation en ligne permettent d’aider les entreprises dans leur choix de fournisseurs en proposant des évaluations RSE de ceux-ci (EcoVadis, Sedex, Acesia …).
Deux sanctions de nature différente étaient initialement prévues en cas de non-respect de l’obligation de vigilance :
Un dispositif préalable est également mis à la disposition du juge afin de mettre en demeure la société défectueuse de se soumettre à ses obligations. Le juge pourra enjoindre sous astreinte l'entreprise à publier et mettre en œuvre de manière effective un plan de vigilance, afin de prévenir les violations de droits humains et les atteintes à l'environnement causées par les activités de leurs filiales, sous-traitants et fournisseurs, en France comme à l'étranger.
Censure partielle du Conseil constitutionnel :
Saisi par les parlementaires, les sénateurs et députés LR, estimant que « la loi méconnait le principe de clarté de la loi » mais également son principe de responsabilité, d’égalité et de liberté d’entreprendre, le conseil constitutionnel a :
Ainsi, la première loi RSE comportant un volet répressif s’est vu supprimer ledit volet par le conseil constitutionnel.
Applicable dès à présent dans sa totalité, pour l’exercice en cours (établissement du plan en 2017 et publication au sein du rapport annuel en 2018).
On pourrait toutefois, à la lecture de la décision du conseil constitutionnel, s’interroger sérieusement sur la possibilité matérielle d’appliquer une loi imprécise jusque dans la définition des obligations qu’elle met à la charge des entreprises…