Covid-19 : Une nécessaire clarification du périmètre de l’obligation de sécurité

25/05/2020
Emeric Sorel et Jérôme So, avocats du cabinet, reviennent sur le périmètre de l’obligation de sécurité.

Conformément aux dispositions légales, il appartient à l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs et de veiller à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes (art. L. 4121-1 du Code du travail).

Selon la jurisprudence, il s’agit là d’une obligation de moyen renforcée (Cass. soc. 25 nov. 2015, n°14-24.444). Cette obligation suppose la mise en place :

-  d'actions de prévention ;

-  d’actions d’information et de formation ;

-  d’une organisation et de moyens adaptés.

La responsabilité de l’employeur pour méconnaissance de cette obligation spécifique de prévention des risques professionnels peut être recherchée en amont de toute atteinte à l’intégrité physique ou mentale du travailleur, comme en raison d’une telle atteinte.

Dans le cadre de la crise sanitaire actuelle, le Ministère du Travail précise que les mesures nécessaires sont celles préconisées par le Gouvernement et notamment le respect des gestes barrières et des règles de distanciation.

Il y a lieu de rappeler que la responsabilité pénale de l’employeur peut être recherchée en cas de : « mise en danger délibérée de la personne d’autrui » ou de « faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait ».

Dans le contexte lié à la crise sanitaire, les entreprises préparent le déconfinement avec la nécessité de concilier la sécurité de tous et l’équilibre économique de l’entreprise. Ces dernières sont toutefois confrontées à un risque dont elles ne sont pas à l’origine puisqu’il s’agit d’un risque sanitaire pour l’ensemble du pays et au niveau mondial. A cet égard, nul ne connait suffisamment bien le virus pour pouvoir affirmer que les gestes barrières sont suffisants pour arrêter sa propagation.

Il apparait donc nécessaire de limiter et de clarifier le périmètre de l’obligation de sécurité (qui est une obligation de moyens renforcées) à la charge de l’employeur dans le contexte actuel de crise sanitaire.

Le Ministère du travail a précisé qu’« il n’incombe pas à l’employeur de garantir l’absence de toute exposition des salariés à des risques mais de les éviter le plus possible et s’ils ne peuvent être évités, de les évaluer régulièrement en fonction notamment des recommandations du gouvernement, afin de prendre ensuite toutes les mesures utiles pour protéger les travailleurs exposés ».

Plus que cela, le Ministère précise que « dans le cadre du COVID-19, les mesures nécessaires sont celles préconisées par le Gouvernement, en particulier les mesures prises pour respecter les gestes barrières et les règles de distanciation ».

Toutefois, il est important de rappeler que cette position du Ministère ne lie pas les juges en cas de contentieux.

En conséquence, rien ne permet aujourd’hui de garantir que la responsabilité de l’employeur ne pourra pas être engagée et ce quand bien même ce dernier aurait pris toutes les mesures nécessaires pour assurer la santé et la sécurité des salariés au regard des mesures préconisées par le gouvernement (notamment dans le cadre du protocole national de déconfinement).

Dans ce contexte, il apparait donc absolument nécessaire de limiter et clarifier le périmètre de l’obligation de sécurité à la charge des employeurs qui est manifestement inadaptée face à la pandémie actuelle et ce afin d’éviter que les entreprises qui auraient tout mis en œuvre pour respecter les préconisations gouvernementales ne puissent être la cible d’actions contentieuses en nombre sur le terrain tant civil que pénal.

C’est d’ailleurs ce qu’ont demandé plusieurs organisations patronales à Madame la Ministre du travail par un courrier en date du 30 avril dernier.

Comme l’ont très justement signalé les organisations patronales signataires dans ce courrier, la mise en œuvre d’une telle mesure législative, qui apparaît nécessaire, s’inscrirait pleinement dans l’esprit de la Directive européenne du 12 juin 1989 (article 5.4) qui ouvre pour les états membres la faculté d’exclure ou de diminuer « la responsabilité des employeurs pour des faits ou des circonstances qui sont étrangères à ces derniers, anormales, imprévisibles, ou à des événements exceptionnels, dont les conséquences n’auraient pu être évitées malgré toute la diligence déployée ».

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