Appel à la grève du 5 décembre 2019 : de la gestion des absences au télétravail…que faire?

04/12/2019
Antoine Tantaro et Pierre-Alexis Dumont, avocats du Cabinet Actance, font le point sur les enjeux juridiques et "paie" de ce mouvement national.

Sur l’initiative d’une intersyndicale de salariés de la RATP, un appel à la grève générale contre le projet de réforme des retraites s’est propagé et a trouvé écho chez bon nombre de syndicats dans une multitude de secteurs, dont celui des transports.

Nul doute que ce mouvement national aura un impact non négligeable pour l’entreprise et ses salariés au cours de cette journée de jeudi - voire des jours suivants, le mouvement ayant vocation à s’inscrire dans la durée.

 

1.Quid des salariés se déclarant en grève ce jour-là, en l’absence de mouvement social dans l’entreprise ?

Pour rappel, 3 critères sont dégagés par la jurisprudence, pour laquelle la grève est (Cass. soc. 2 février 2006, n°04-12.336) :

  • une action concertée ;
  • à l’appui de revendications professionnelles ;
  • consistant en une cessation collective du travail.

Si le respect des deux premières conditions ne fait pas débat s’agissant du mouvement social du 5 décembre prochain, la question de la cessation collective du travail peut se poser.

En effet, quid si un seul des salariés de l’entreprise déclare être en grève le 5 décembre et ne pas travailler pour cette raison ?

Bien qu’étant un droit individuel, la grève s’exerce collectivement. La particularité du mouvement social du 5 décembre prochain réside dans son caractère national et non interne à l’entreprise.

La jurisprudence fait de l’hypothèse du mot d’ordre formulé sur le plan national une exception au caractère obligatoirement collectif de la grève en entreprise (Cass. soc. 29 mars 1995, n°93-41.863). Tout salarié pourra donc s’inscrire isolément dans ce mouvement et bénéficier du régime qui lui est propre (cf. infra).

La grève est également synonyme de cessation du travail, ce qu’il convient d’entendre comme une cessation franche et totale du travail.

Ainsi, il n’est pas inutile de rappeler que ne répondent pas à la définition de grève :

  • les agissements du salarié consistant à se livrer à une exécution volontairement défectueuse du travail (tel que le refus délibéré de se conformer aux horaires de travail, ou aux aménagements de l’activité qui peuvent être mis en œuvre - Cass. soc.16 mai 1989, n°85-43.359);
  • l’arrêt de travail se limitant à ne pas exécuter une seule obligation issue du contrat de travail, lequel doit être considéré comme une grève abusive consistant à permettre au salarié de s’octroyer discrétionnairement les conditions de travail qu’il revendique (Cass. soc. 11 juillet 2016, n°14-14.226).

Si les salariés respectent la cessation totale de leur travail, alors le caractère national du mouvement sera sans incidence sur les effets habituels qu’il convient d’attacher aux salariés qui se déclareront en grève.

Dans ces conditions, petit rappel des conséquences immédiates :

  • Le contrat de travail se trouve suspendu

Le salarié n’est, en effet, plus dans l’obligation de fournir du travail et l’employeur n’ayant aucune obligation de verser le salaire correspondant strictement à la cessation de travail motivée par la grève ; sur ce point, l’employeur devra donc être particulièrement vigilant sur les possibles conséquences de cette absence sur une éventuelle prime dont l’octroi prévoit une condition de présence du salarié dans l’entreprise.

 

  • Le salarié bénéficie d’une protection contre la rupture de son contrat de travail

Seule une faute lourde peut justifier un licenciement si les faits sanctionnés ont été commis à l’occasion de la grève (article L2511-1 du Code du travail).

Par ailleurs, toute mesure discriminatoire prise à l’encontre du salarié en raison de sa qualité de gréviste est susceptible d’être annulée et pénalement sanctionnée.

 

  • Il est interdit de remplacer un salarié gréviste en ayant recours à un CDD ou à l’intérim (article L1242-6 et L1251-6 du Code du travail).

Un tel recours revient en effet à neutraliser l’efficacité et donc l’existence du droit de grève. Cette interdiction vaut également pour le recours à ce type de contrat via un remplacement « en cascade », qui consisterait à remplacer un non-gréviste affecté au remplacement d’un gréviste. En revanche, il peut être recouru à des sous-traitants ou, tout simplement à la réorganisation du travail avec au besoin la réalisation d’heures supplémentaires par les salariés non-grévistes.

 

2.Quid des salariés absents ce jour exclusivement en raison des perturbations liées au mouvement mais étrangères à leur volonté ?

Il s’agit là de ceux des salariés qui, du fait du mouvement, sont placés dans l’impossibilité ou mis en difficulté pour honorer le contrat de travail les liant à l’employeur.

Quand bien même cela serait exclusivement lié aux perturbations causées par le mouvement, les salariés absents, en retard, ou dans l’impossibilité d’exécuter leur travail ce jour sont des salariés non-grévistes. Il s’ensuit que l’exécution de leur contrat de travail doit en principe être appréhendée par l’employeur selon le droit commun : ils doivent se tenir à la disposition de l’employeur et ce dernier est tenu de leur fournir du travail.

L’absence ou le retard d’un salarié non-gréviste le 5 décembre pourrait donc théoriquement faire l’objet d’une sanction de droit commun. Le contexte commande cependant de tenir compte de la singularité des raisons d’un tel manquement. Des solutions alternatives doivent à notre sens être privilégiées.

Ainsi, afin de réduire dans la mesure du possible les contraintes que rencontreront les salariés non-grévistes au cours de cette journée et préserver d’autant le bon fonctionnement de l’entreprise, trois principaux outils juridiques permettront à l’employeur de prendre des mesures d’anticipation :

  • Avoir recours au télétravail occasionnel : Sans avoir à aller sur le terrain des « circonstances exceptionnelles », dont les contours sont incertains, et même si l’entreprise ne dispose pas d’un accord collectif ou d’une charte sur le télétravail citant les perturbations liées à la grève des transports au nombre des conditions de passage en télétravail, il est possible d’utiliser ce mode de travail pour la journée du 5 décembre : ainsi que le gouvernement a pu le souligner, ce mode d’organisation offre la flexibilité adéquate pour ce type d’événement ponctuel et ce depuis l’ordonnance du 22 septembre 2017. Cette dernière crée le télétravail dit occasionnel (article L1229-9, I, al. 4), qui permet d’y recourir en s’affranchissant de toute contrainte formelle si ce n’est l’accord de l’employeur et du salarié « par tout moyen » : ainsi, un simple échange d’emails, voire de SMS, pourrait suffire.
  • Privilégier la pose de jour de repos durant la période de grève, dans la mesure du possible pour faire l’économie d’une journée éprouvante d’organisation pour le salarié et potentiellement moins productive pour l’employeur. Si la pose de congés n’est pas à exclure, c’est, pour ceux qui en bénéficient, la pose d’un JRTT ou, pour les salariés en forfait jours, d’un jour de repos au titre de ce dispositif, qui doit être privilégiée.
  • Aménager ponctuellement les horaires de travail en favorisant un début d’activité décalé et une fin d’activité adaptée aux contraintes de transport. Il s’agit notamment d’aller au-delà des plages fixes et des plages mobiles déjà existantes si l’entreprise a mis en place, pour certains services, un dispositif d’horaires individualisés.
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