Par un arrêt de principe du 25 novembre 2020 (Crim. 25 novembre 2020 n°18-86.955) la Cour de Cassation admet pour la première fois que dans le cadre d’une fusion-absorption, la Société absorbante peut, sous certaines conditions, voir sa responsabilité pénale engagée pour des faits commis par la société absorbée avant la fusion.
« Nul n'est responsable pénalement que de son propre fait ». C’est sur le fondement de ce principe édicté par l’article 121-1 du Code pénal que la Cour de cassation a longtemps assimilé la dissolution de la société absorbée au décès d’une personne physique.
Elle considérait en effet que la dissolution de la société absorbée lui faisait perdre sa personnalité juridique et entraînait, de fait, l’extinction de l’action publique en application de l’article 6 du Code de procédure pénale qui pose le principe de l’extinction de l’action publique par décès.
Ainsi, par une application combinée des articles précités, la chambre criminelle jugeait de manière constante que la Société absorbante, en qualité de personne morale distincte, ne pouvait être poursuivie pour des faits commis par la société absorbée avant l’opération de fusion (Crim., 20 juin 2000 n° 99-86.742 ; Crim., 14 octobre2003 n° 02-86.376 ; Crim., 18 février 2014 n°12-85.807).
Cette interprétation apparaissait comme étant la seule conforme à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme consacrant le droit à un procès équitable.
Dans l’arrêt de principe commenté, la Cour de cassation remet en cause cette approche anthropomorphique de l’opération de fusion absorption considérant que « d’une part, elle ne tient pas compte de la spécificité de la personne morale, qui peut changer de forme sans pour autant être liquidée » et d’autre part, qu’« elle est sans rapport avec la réalité économique ».
Cette solution se comprend dès lors que :
La Cour de cassation rappelle ainsi qu’« il en résulte que l’activité économique exercée dans le cadre de la société absorbée, qui constitue la réalisation de son objet social, se poursuit dans le cadre de la société qui a bénéficié de cette opération ».
Ce revirement de jurisprudence s’inscrit dans la droite ligne des jurisprudences récentes de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) et de la Cour de justice de l’Union Européenne (CJUE).
Dans un premier temps, la CJUE avait jugé dans un arrêt rendu le 5 mars 2015 qu'une fusion par absorption entraîne la transmission à la société absorbante de l'obligation de payer une amende fondée sur des infractions au Code du travail commises par la société absorbée antérieurement à la fusion (CJUE, arrêt du 5 mars 2015, Modelo Continente Hipermercados SA c/ Autoridade para as Condições de Trabalho, C-343/13).
Dans un second temps, la décision de la CEDH du 24 octobre 2019 (Carrefour France c. France, n°37858/14) a été particulièrement déterminante dans l’évolution de la jurisprudence de la Cour de Cassation.
En effet, la CEDH, en se fondant sur la continuité économique existant entre la société absorbée et la société absorbante, en déduit que « la société absorbée n’est pas véritablement "autrui" à l’égard de la société absorbante » de sorte que l’application d’une amende civile à une société absorbante pour des actes restrictifs de concurrence commis avant la fusion par la société absorbée ne porte pas atteinte au principe de personnalité des peines.
Dans son arrêt du 25 novembre 2020, la chambre criminelle reprend l’intégralité du raisonnement suivi par la Cour de justice pour motiver sa décision.
Il est donc désormais admis que « la continuité économique et fonctionnelle de la personne morale conduit à ne pas considérer la société absorbante comme étant distincte de la société absorbée ».
Ainsi, ni l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, ni l’article 6 du Code de procédure pénale ne s’opposent à ce que l’article 121-1 du Code pénal soit désormais interprété comme permettant que la société absorbante soit condamnée pénalement pour des faits constitutifs d’une infraction commise par la Société absorbée avant l’opération.
Dans sa décision, la Cour de cassation précise les conditions et limites du transfert de responsabilité pénale de la société absorbée à la société absorbante.
La Cour de cassation précise également que la société absorbante bénéficiera pour sa défense des mêmes droits que la société absorbée. Elle pourra ainsi se prévaloir de tout moyen de défense que la Société absorbée aurait pu invoquer.
Enfin, un sort particulier, plus sévère, est réservé aux situations de fraude à la loi soit les situations dans lesquelles l’opération de fusion absorption avait pour objectif de faire échapper la société absorbée à sa responsabilité pénale.
Dans cette hypothèse, le juge pourra prononcer à l’encontre de la société absorbée toute sanction pénale encourue à l'encontre de la société absorbante et ce que la fusion ait été conclue avant ou après le 25 novembre 2020 et qu’elle entre ou non dans le champ de la directive précitée.
Ce revirement jurisprudentiel doit donc être appréhendé par les sociétés qui, en leur qualité d’absorbantes, peuvent désormais voir leur responsabilité pénale engagée pour des faits reprochés aux sociétés absorbées.
Les opérations de fusion acquisition devront donc faire l’objet d’une vigilance renforcée lors de l’évaluation des conséquences économiques, patrimoniales et juridiques de la fusion.
En particulier, le risque pénal devra être systématiquement pris en compte à toutes les étapes de l’opération soit :
Ce revirement de jurisprudence doit donc inviter les employeurs à la plus grande vigilance pour ce qui est des infractions en droit pénal du travail.
En effet, alors que le risque pénal en matière de droit du travail était trop souvent considéré comme hypothétique, il devra désormais être envisagé très sérieusement, identifié et évalué dès la phase d’audit.
A défaut, la société absorbante pourrait être tenue responsable pénalement de faits de harcèlement, de discrimination, d’entrave, de travail illégal ou encore d’infractions relatives à l’hygiène, la santé et la sécurité commises par la société absorbée avant la fusion.
Il conviendra en particulier d’analyser, avec l’aide d’un avocat en droit du travail, non seulement les contentieux prud’hommaux en cours mais plus encore les situations précontentieuses qui pourraient déboucher sur une infraction pénale.